Analyse de l'arrêt ATF 150 III 71 - TF 4A_252/2023
11 janvier 2024
Adaptation du loyer à l’expiration de la période d’indexation – point de référence temporel pour déterminer l’évolution du taux hypothécaire
I. Objet de l’arrêt
Cet arrêt traite de la question du point de référence temporel sur lequel il faut se baser pour déterminer les variations du taux hypothécaire à l’expiration de la période d’indexation d’un bail.
II. Résumé de l’arrêt
A. Les faits
B. B. et C. B., locataires, ont conclu un contrat de bail avec l’entreprise A. SA, bailleresse, en date du 6 février 2015. Le bail portait sur un appartement de 5,5 pièces en attique avec comme début du bail le 1er avril 2015. Les parties ont convenu d’un loyer mensuel net de CHF 3’500.- avec une clause d’indexation fondée sur l’indice des prix à la consommation et d’une durée de bail minimale de cinq ans, soit au moins jusqu’au 31 mars 2020.
Par avenant du 13 septembre 2019, les parties ont convenu de la possibilité de résilier le contrat avec un préavis de trois mois pour la fin d’un mois, à l’exception de celui de décembre, la première fois à l’expiration de la durée minimale arrivant à échéance le 31 mars 2020.
Le 2 juin 2017, les locataires ont requis une baisse de loyer au regard de la diminution du taux hypothécaire de référence. La bailleresse a refusé cette baisse au regard de la clause d’indexation convenue. Le 4 mars 2020, les locataires ont requis une nouvelle baisse de loyer fondée sur la diminution du taux hypothécaire de référence « pour le prochain terme de résiliation » (« auf den nächsten Kündigungstermin »).
Par requête du 17 avril 2020, les locataires ont saisi la commission de conciliation du canton de Bâle-Campagne afin de faire fixer le loyer dès le 1er juillet 2020, au minimum à CHF 3’215.-, subsidiairement à CHF 3’402.-. Aucun accord n’a pu être trouvé et la bailleresse s’est opposée à la proposition de jugement formulée. A l’issue de la conciliation, la bailleresse a adapté le loyer à CHF 3’393.- à compter du 1er juillet 2020.
Le 15 février 2021, la bailleresse a agi devant le Tribunal d’arrondissement de Bâle-Campagne Ouest en concluant au rejet de la demande des locataires, pour autant qu’elle soit recevable, puisque devenue sans objet par l’adaptation du loyer. Dans leur réponse du 7 septembre 2021, les locataires ont conclu au rejet de la demande de la bailleresse et, reconventionnellement, à ce que le loyer soit fixé, dès le 1er avril 2020, subsidiairement le 1er juillet 2020 au maximum à CHF 3’215.-. Par décision du 23 juin 2020, la Présidente du Tribunal d’arrondissement a admis la demande de la bailleresse et rejeté la demande reconventionnelle des locataires. Elle constate dans son dispositif que le loyer net est réduit à compter du 1er juillet 2020 à CHF 3’393.-.
Les locataires ont recouru contre ce jugement auprès du Tribunal cantonal du canton de Bâle-Campagne, qui a admis le recours et annulé le jugement de première instance, fixant le loyer à CHF 3’215.- dès le 1er juillet 2020. La bailleresse recourt au Tribunal fédéral contre ce jugement.
B. Le droit
A la conclusion du contrat le 6 février 2015, le taux hypothécaire de référence était à 2% et n’a cessé de baisser en cours de contrat. Le 3 mars 2020, il a été fixé à 1,25%. Le Tribunal cantonal applique ce taux dès le 1er juillet 2020, soit le prochain terme de résiliation qui suit la demande du 4 mars 2020. La recourante conteste cette appréciation, dès lors que la demande d’adaptation est intervenue tardivement, l’expiration de la période d’indexation ayant pris fin le 31 mars 2020. Selon la recourante, les intimés auraient dû demander la réduction du loyer pour cette date, en respectant le délai de résiliation. Cela n’a pas été fait, raison pour laquelle il est présumé qu’ils ont considéré le loyer fixé à l’époque comme approprié. Pour les modifications ultérieures du loyer, la recourante soutient qu’il convient donc de comparer les facteurs de coûts et donc le taux d’intérêt de référence au moment où le bail aurait pu être résilié pour l’expiration de la durée de l’indexation, et non le taux au début du bail. En l’occurrence, les locataires pouvaient mettre fin au contrat pour l’expiration de la période d’indexation au mois de décembre 2019. Depuis cette date, le taux d’intérêt de référence hypothécaire n’a toutefois baissé que de 0,25 point de pourcentage (de 1,5% à 1,25%), raison pour laquelle seule une réduction de loyer à CHF 3’393.- correspondait à l’adaptation selon les facteurs de coûts.
Le Tribunal fédéral relève que la question litigieuse est de déterminer – à l’expiration de la période d’indexation – le point de référence temporel sur lequel il faut se baser pour déterminer les modifications du taux hypothécaire.
Il rappelle que les parties d’un contrat de bail peuvent convenir d’un loyer indexé à condition que le contrat de bail soit conclu pour cinq ans au moins et que l’indice prévu soit l’indice suisse des prix à la consommation (art. 269b CO ; art. 17 OBLF). En l’espèce, les parties ont fait usage de cette possibilité, faisant dépendre le loyer uniquement de l’évolution de l’indice, sous réserve de la contestation du loyer initial et à l’exclusion notamment de la variation du taux hypothécaire (ATF 147 III 32, consid. 3.3 ; TF, 02.11.2015, 4A_269/2015, consid. 2.1).
A l’expiration de la durée d’indexation, et en cas de poursuite du bail pour une durée indéterminée, l’indexation devient caduque à moins que la partie bailleresse ne soit (à nouveau) également liée pendant au moins cinq ans (not. ATF 124 III 57, consid. 3b). A l’approche de l’expiration de la période d’indexation, les deux parties peuvent demander la modification du loyer en respectant le délai de résiliation : la partie bailleresse peut augmenter le loyer en vertu de l’art. 269d CO, et la partie locataire peut demander la réduction du loyer en vertu de l’art. 270a CO (adaptation « en cours de bail »), chaque fois pour le prochain terme de résiliation possible (TF, 02.11.2015, 4A_269/2015, consid. 2.3). Ces demandes se fondent sur la méthode de calcul relative, à l’exclusion de la méthode de calcul absolue, et l’adaptation est notamment possible en fonction d’évolutions intermédiaires du taux hypothécaire de référence (ATF 147 III 32, consid. 3.4.1 et 3.5).
Si les parties ne requièrent pas une telle modification pour la fin de la durée de l’indexation, elles donnent l’apparence de considérer le loyer actuel comme approprié. Une demande ultérieure de modification de loyer selon la méthode relative nécessitera alors de se baser sur l’indice existant à la fin de la période d’indexation comme base de comparaison. En d’autres termes, les coûts et la situation au moment où les parties auraient pu résilier le bail en respectant le délai de résiliation pour l’expiration de la durée d’indexation et demander ainsi une adaptation selon la méthode relative sont déterminants (not. ATF 123 III 76, consid. 4c ; TF, 06.01.2011, 4A_489/2010 et 4A_531/2010, consid. 4.2 ; SVITK-Rohrer, art. 269b CO N 35 ; BSK OR I-Weber, art. 269b CO N 7a). L’ATF 147 III 32 n’a pas changé ces principes, mais a uniquement précisé que la méthode de calcul absolue ne s’applique pas aux demandes de réduction de loyer à l’échéance de la durée de l’indexation (consid. 3.4.1 et 3.5).
La dernière instance cantonale a invoqué l’art. 13 al. 4 OBLF pour justifier sa solution divergente, dispositions selon laquelle : « [l]ors d’une modification du loyer faisant suite à une variation du taux hypothécaire, il y a lieu de voir en outre si et dans quelle mesure les variations antérieures ont entraîné une modification du loyer ». Cette norme permet d’invoquer des modifications du taux hypothécaire depuis le moment où le loyer a été adapté pour la dernière fois en tenant compte du taux hypothécaire de référence, respectivement fixé à nouveau (not. ATF 141 III 569, consid. 2.1.1 ; 119 II 348, consid. 4b/aa-dd). Le Tribunal cantonal en a déduit que les modifications du taux hypothécaire intervenues pendant la durée de l’indexation pouvaient encore être prises en compte après l’expiration de la durée de l’indexation. Il a retenu que le point de référence pour le nouveau calcul du loyer sur la base du taux hypothécaire de référence restait, dans tous les cas, le taux hypothécaire de référence en vigueur au début de la durée de l’indexation ou au début du bail, pour autant qu’aucune adaptation de loyer n’ait été effectuée entre-temps en se référant expressément au taux hypothécaire de référence.
Le Tribunal fédéral relève que l’art. 13 al. 4 OBLF ne s’applique pas à la situation du cas d’espèce, puisque les parties poursuivent le bail au-delà de la durée de l’indexation en tant que bail à durée indéterminée, et omettent de demander une modification du loyer à la fin de la durée de l’indexation : en convenant d’un loyer indexé, les parties au contrat de bail excluent tous les autres motifs d’adaptation pour la durée de l’indexation, y compris le taux hypothécaire de référence. La seule exception est celle développée ci-avant. Le Tribunal fédéral n’a jamais appliqué l’art. 13 al. 4 OBLF à des demandes de réduction après l’expiration de la durée d’indexation (dans le même sens, TF, 06.01.2011, 4A_489/2010, consid. 4.1-4.3).
Dans le cas d’espèce, les parties ont poursuivi le bail au-delà de la durée d’indexation de cinq ans en tant que bail à durée indéterminée, résiliable en tout temps et sans indexation. Les locataires et intimés n’ont pas demandé une correction de loyer pour la fin de la durée de l’indexation (31 mars 2020), mais seulement le 4 mars 2020 pour le 1er juillet 2020. Par conséquent, pour l’adaptation du loyer dont il est question ici, il faut partir du taux hypothécaire de référence au moment où les intimés auraient pu résilier le bail dans les délais et demander une adaptation du loyer (décembre 2019). A l’époque, le taux d’intérêt de référence hypothécaire était de 1,5%, avant de baisser en mars 2020 à 1,25%. La partie bailleresse a répercuté ce changement et a baissé le loyer en conséquence. En admettant une autre base pour une baisse de loyer plus importante, le tribunal cantonal a violé le droit fédéral. Le recours est donc admis.
III. Analyse
L’arrêt permet de rappeler que le régime de modification du loyer à l’issue de la période d’indexation est en lien avec les art. 269d et 270 CO.
Les parties peuvent convenir que l’augmentation ou la baisse du loyer se fera exclusivement en fonction de la fluctuation de l’indice des prix à la consommation (IPC) (art. 269b CO). Une telle convention n’est valable qu’à deux conditions : le bail est d’une durée minimale de cinq ans, à tout le moins en faveur de la partie locataire qui peut disposer d’un droit de résiliation (ATF 125 III 358, consid. 1.b) et l’indice des prix à la consommation est l’indice de référence. L’indice de base est celui de la conclusion du contrat.
Durant la période d’indexation, les parties ne peuvent demander la modification du loyer que sur la base de la fluctuation de l’IPC, à l’exclusion notamment de l’évolution du taux hypothécaire de référence (ATF 147 III 32, consid. 3.31). Sont réservées les adaptations fondées sur des prestations et charges supplémentaires de la partie bailleresse si les parties l’ont expressément prévu (CPra Bail-Dietschy-Martenet, art. 269b CO N 28 s.).
A l’expiration de la durée initiale d’indexation se pose la question du sort de cette dernière. Si le bail se reconduit pour une durée indéterminée, respectivement inférieure à cinq ans (ATF 123 III 76, consid. 4a), la clause d’indexation devient caduque. En revanche, si la période de reconduction est égale ou supérieure à cinq ans, à tout le moins en faveur de la partie locataire, la clause d’indexation demeure applicable (ATF 137 III 580, consid. 2). En fonction de la reconduction ou non de la clause d’indexation, il faut envisager les possibilités d’adaptation du loyer.
En cas de reconduction de la clause d’indexation, les parties peuvent requérir une majoration ou diminution du loyer (indépendante de l’IPC) pour le prochain terme de résiliation, soit pour l’échéance du bail original ou reconduit, dans le respect du délai de résiliation (art. 269d et 270a CO en lien avec l’ATF 147 III 32, consid. 3.4). L’indexation se calcule sur la base de l’indice au moment de la dernière fixation et non de la reconduction (ATF 137 III 580, consid. 2). Outre cette possibilité, durant la période d’indexation, les parties peuvent demander l’adaptation du loyer sur la base de la clause d’indexation en fonction de la fluctuation de l’IPC (art. 269b CO).
En l’absence de reconduction de la clause d’indexation, les parties peuvent requérir une majoration ou une diminution du loyer pour la date d’échéance de la clause, soit la fin de la période d’indexation, en respectant toutefois le délai de résiliation. Par l’ATF 147 III 32 ainsi que par l’arrêt commenté, le Tribunal fédéral a apporté deux précisions quant à cette demande d’adaptation du loyer :
- Premièrement, la partie locataire qui agit en diminution du loyer pour la fin de la durée initiale du contrat ne peut se prévaloir que des facteurs relatifs, à l’exclusion des facteurs absolus (ATF 147 III 32, consid. 3.5, commenté par Bohnet/Conod, Modification du loyer à l’expiration de la durée initiale du bail indexé [arrêt TF 4A_86/2020], Newsletter bail.ch février 2020). Il devrait à notre sens en aller de même s’agissant d’une demande de majoration (en ce sens, Dietschy-Martenet, Actualités en matière de loyers indexés et échelonnés, in Bohnet/Carron (édit.), 22e Séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 2022, 69 ss, N 15 ss), bien que la partie bailleresse puisse s’opposer à une demande de diminution en se référant à la méthode absolue (ATF 147 III 32, consid. 3.5 et réf. cit.).
- Secondement, la date de référence pour la variation du taux hypothécaire est celle de la conclusion du contrat uniquement en cas de demande d’adaptation pour la fin de la période d’indexation, dans le respect du préavis de résiliation (consid. 3.3 et 3.4 de l’arrêt commenté). A défaut, les parties sont supposées être d’accord avec le loyer en vigueur au moment où elles auraient pu résilier le bail : une demande d’adaptation ultérieure se fonde sur le niveau des coûts, et notamment le taux hypothécaire de référence, du moment où les parties pouvaient résilier le bail pour la fin de la période d’indexation.
La solution retenue par le Tribunal fédéral dans l’arrêt commenté doit être approuvée. Elle confirme en effet la pratique existante (ATF 123 III 73, consid. 4c et TF, 06.01.2011, 4A_489/2010, consid. 4 et réf. cit. dans l’arrêt commenté). Une telle décision permet de distinguer les mécanismes de fixation du loyer au sens des art. 269d et 270a CO et les particularités de l’adaptation du loyer à l’expiration de la période d’indexation prévue par les parties. Admettre la possibilité de demander une adaptation du loyer ultérieure à la fin de la période d’indexation, mais en se fondant sur le taux hypothécaire du début de la période d’indexation, viderait de leur sens les exigences des art. 260d et 270a CO en lien avec la condition de l’art. 269b CO selon laquelle le seul indice pertinent durant la période d’indexation est celui de l’IPC, à l’exclusion du taux hypothécaire de référence.