Analyse de l'arrêt ATF 151 III 16 - TF 4A_75/2022

François Bohnet, Avocat spécialiste FSA droit du bail, LL.M., Dr en droit, Professeur à l'Université de Neuchâtel

Travaux à plus-value: taux de rendement admissible et opposabilité de critères relatifs en cas de bail indexé

I. Objet de l’arrêt

L’arrêt 4A_75/2022, destiné à la publication, traite du taux de rendement des investissements à plus-value. Le Tribunal fédéral applique le même taux que celui défini dans le cadre du calcul du rendement net admissible (contrôle du loyer initial). Est ainsi autorisé un taux de rendement de 2% en sus du taux hypothécaire de référence tant que celui-ci est égal ou inférieur à 2%. Le Tribunal fédéral se penche également sur la question de savoir si le locataire peut invoquer en réaction à une hausse notifiée pour cause de travaux à plus-value en cours de bail indexé des facteurs relatifs tels que l’évolution du taux hypothécaire de référence pour réclamer une réduction de loyer compensant, voire dépassant la hausse querellée. Il y répond par la négative.

II. Résumé de l’arrêt

Le droit

Les parties sont liées par un bail à loyers indexés pour cinq ans, renouvelable de cinq ans en cinq ans ; il est constant que la bailleresse s’est réservé le droit d’augmenter le loyer en cours de bail sur la base de l’exécution de prestations supplémentaires (consid. 3).

La bailleresse a invoqué les travaux de rénovation entrepris pour augmenter le loyer, alors que les locataires se sont fondés sur la baisse du taux hypothécaire de référence pour en réclamer la réduction. Pour les départager, la cour cantonale a raisonné en trois temps (consid. 3.1).

Elle a tout d’abord examiné si la bailleresse avait, par le biais des travaux entrepris, apporté une prestation supplémentaire (art. 269a let. b CO et art. 14 al. 1 OBLF) de nature à lui permettre d’augmenter le loyer, ou s’il s’agissait de travaux d’entretien courant selon l’art. 256 al. 1 CO, non répercutables. En s’aidant de la présomption posée à l’art. 14 al. 1 OBLF, selon laquelle les frais causés par d’importantes réparations sont considérés à raison de 50 à 70% comme des investissements créant des plus-values, les juges cantonaux ont considéré que la moitié du coût des travaux entrepris correspondait à une plus-value.

Dans un deuxième temps, la cour cantonale a examiné, à l’aune de l’art. 14 al. 4 OBLF, si la hausse de loyer fondée sur ces investissements créant une plus-value était abusive. Pour ce faire, elle a additionné trois éléments sur une base annuelle : (1) l’intérêt du capital investi, compte tenu du taux hypothécaire de référence au moment de la notification de la hausse de loyer (1,5%) majoré de 0,5% et divisé par deux vu l’amortissement progressif dudit capital ; (2) l’amortissement du capital sur la durée de vie présumable des nouvelles installations, qu’elle a fixée à 23 ans étant donné la nature des travaux effectués et conformément à la tabelle d’amortissement commune aux associations de bailleurs et de locataires ;

(3) l’entretien à venir des nouvelles installations estimé à 10% du total du poste « intérêts et amortissements ».

L’autorité précédente a rapporté le résultat de ce calcul à l’état locatif de l’immeuble avant travaux ce dont elle a déduit qu’une hausse de loyer de 17,1% était justifiée.

Dans une ultime étape, la cour cantonale a examiné si les locataires pouvaient prétendre à une réduction de loyer fondée sur la baisse du taux hypothécaire de référence. S’agissant d’un bail indexé à l’IPC, lequel constituait le mode exclusif de fixation du loyer, aucune des parties ne pouvait revendiquer d’autres motifs de hausse ou de baisse du loyer, à moins que le bailleur ne se soit réservé le droit d’augmenter le loyer en cours de bail sur la base de l’exécution de prestations supplémentaires, ce qui était le cas en l’espèce. Cette prérogative était fondée sur un critère relatif de fixation du loyer, au même titre que l’adaptation à l’IPC ou à l’évolution des taux hypothécaires. Or, de tels critères pouvaient, de manière générale, être compensés entre eux. Partant, aucun motif ne justifiait de priver les locataires de la faculté d’invoquer la baisse du taux hypothécaire de référence pour compenser la hausse de loyer réclamée par la bailleresse, indépendamment du fait que le motif de cette hausse ne résidait pas dans une augmentation de l’IPC. In casu, le taux hypothécaire de référence avait évolué de la manière suivante  : il se montait à 2,25% lors de la dernière fixation du loyer en octobre 2012 et n’était plus que de 1,5% le 1er octobre 2019. Dès lors, les locataires pouvaient prétendre à une baisse de loyer de 8,26%.

En définitive, la cour cantonale a opposé la hausse de loyer de 17,1%, justifiée par les prestations supplémentaires de la bailleresse, à la baisse de loyer de 8,26% réclamée légitimement par les locataires en raison de la diminution du taux hypothécaire de référence, ce qui l’a conduite à admettre une hausse de loyer de 8,84%.

Il n’est pas contesté que les travaux ici en cause constituent d’importantes réparations, ni que la part de leur coût total, fixée forfaitairement à 50%, représente un investissement à plus-value au sens de l’art. 14 al. 1 et 4 OBLF. Parmi les trois éléments de calcul de la majoration non abusive du loyer selon l’art. 14 al. 4 OBLF, l’amortissement sur 23 ans du capital investi ainsi que l’entretien à venir à hauteur de 10% des intérêts et de l’amortissement ne sont pas non plus remis en cause. Seule la répercussion sur le loyer des intérêts du capital créateur de plus-value doit être examinée par la cour de céans (consid. 4.2).

Selon la jurisprudence, le taux de rendement admissible correspond au taux hypothécaire de référence en vigueur au moment de la notification de la hausse de loyer, augmenté d’un certain pourcentage ; jusqu’à présent et de longue date, le Tribunal fédéral a jugé admissible un supplément de 0,5%. Tout le capital investi est pris en compte, sans distinction entre fonds propres et fonds étrangers. Mais seule la part non amortie de l’investissement doit être rémunérée ; pour ce faire, il est possible d’appliquer le taux plein sur la moitié des investissements à plus-value ou, ce qui conduit au même résultat, de prendre en considération la totalité du capital à rémunérer, mais seulement la moitié du taux (ATF 118 II 415, consid. 3c/aa).

Est litigieux le pourcentage en sus du taux hypothécaire de référence (consid. 4.3).

La cour cantonale s’est référée au supplément de 0,5% ressortant de l’ATF 118 II 415 susmentionné, qui arrêtait finalement le taux d’intérêt applicable à (la moitié de) l’investissement à plus-value à 6,5% (taux hypothécaire de référence de 6% + 0,5%) (consid. 3c/aa). Alors que le taux hypothécaire de référence à la date déterminante est de 1,5% en l’espèce, les juges précédents ont refusé d’appliquer la nouvelle jurisprudence – soit 2% en sus du taux hypothécaire de référence lorsque celui-ci est égal ou inférieur à 2% – fixant le rendement admissible des fonds propres réévalués lors d’un calcul du rendement net opéré dans le contexte d’une contestation du loyer initial (ATF 147 III 14, consid. 8.4).

Ce dernier arrêt, rendu en 2020, modifie une jurisprudence remontant à 1986. A cette époque-là, un taux de 0,5% en sus du taux hypothécaire de référence s’élevant alors à 5,5% avait été jugé admissible pour le rendement des fonds propres (ATF 112 II 149), soit un supplément identique à celui appliqué en 1992 dans l’ATF 118 II 415 en matière d’investissements créateurs de plus-value, durant une période où le taux hypothécaire de référence était encore plus élevé. Plus de trente ans plus tard, pour justifier le taux de 2% en sus du taux hypothécaire de référence lorsque celui-ci est égal ou inférieur à 2%, le Tribunal fédéral a relevé que ce dernier taux avait continuellement baissé depuis 1995 jusqu’à atteindre 1,25% à la date de son arrêt, de sorte que le rendement, calculé en ajoutant 0,5% audit taux, aboutissait à un loyer qui n’était plus en rapport avec la mise à disposition de l’usage de l’habitation et qui se révélait insuffisant pour les caisses de pension devant servir des rentes à leurs assurés ainsi que pour les propriétaires immobiliers exposés aussi à des risques (défaut de paiement du loyer, locaux demeurant vides, etc.) (ATF 147 III 14, consid. 8.4). Dans l’affaire en question, le taux hypothécaire de référence était de 1,5% à la date déterminante, de sorte que le rendement admissible des fonds propres investis était de 3,5% (consid. 8.5) (consid. 4.3.1).

A la suite de cet arrêt, la doctrine s’est demandée si la nouvelle jurisprudence devait être transposée au rendement du capital créateur de plus-value dans le calcul prescrit à l’art. 14 al. 4 OBLF.

Certains auteurs ont répondu par la négative. Montalto et Rubli relèvent que, dans ce cas-là, le taux d’intérêt s’applique à l’intégralité du capital investi, sans distinction suivant qu’il s’agit de fonds propres ou de fonds étrangers, au contraire de ce qui se passe dans le calcul du rendement net où seuls les fonds propres sont rémunérés en ajoutant un pourcentage au taux hypothécaire de référence. Ils estiment également que le revirement de jurisprudence opéré par le Tribunal fédéral tend à éviter la fixation de loyers extrêmement bas et, partant, à aider les propriétaires institutionnels qui financent leurs biens uniquement en fonds propres, et non à favoriser encore davantage les investissements créant des plus-values (Montalto/Rubli, Loyers abusifs et rendement net, Revue de l’Avocat 2/2021 p. 59 ss). Un commentaire publié dans mp-flash 7/2020 (p. 3) souligne que l’intérêt sur le capital créateur de plus-value est fixé sur la (longue) période de l’amortissement dans le cadre de travaux de rénovation, ce qui serait incompatible avec le revirement de jurisprudence opéré dans l’ATF 147 III 14 lequel serait fondé sur de pures raisons conjoncturelles (période de taux bas). Pour sa part, Stastny évoque, outre les motifs précités, encore d’autres arguments qui militeraient contre la transposition de l’ATF 147 III 14 aux rénovations. Cet auteur insiste notamment sur les différences entre les modes de calcul considérés, lesquelles justifieraient des taux de rendement distincts : le calcul de rendement net est actuel et concret en ce qu’il tend à définir la rentabilité de fonds propres effectivement investis, réévalués à un moment donné, et comporte ainsi une dimension conjoncturelle, alors que le calcul de répercussion sur le loyer de l’investissement à plus-value vise à fixer un taux de refinancement pour une dépense préfinancée par le bailleur et prend en compte des éléments standardisés (part des frais arrêtée dans la fourchette de l’art. 14 al. 1 OBLF, amortissement selon des tabelles de longévité, entretien futur capturé à un taux standard), que la conjoncture ne saurait influencer (Stastny, Travaux de rénovation de la chose louée ; quel taux d’intérêt pour le capital créateur de plus-value ?, Plaidoyer 4/2022 p. 36 s. ; Stastny, Jurisprudence fédérale relative au rendement net de la chose louée, Plaidoyer 1/2021 p. 26 s.) (consid. 4.3.2).

A l’inverse, d’autres auteurs se sont prononcés en faveur d’une transposition de l’ATF 147 III 14 aux investissements créateurs de plus-values, soutenant pour l’essentiel qu’il n’y avait aucune raison d’avoir deux taux de rendement admissibles, l’un dans le cadre d’un calcul de rendement net des fonds propres et l’autre dans le cadre de travaux à plus-value (Daïna, La détermination du loyer admissible, Bâle 2023, n. 211 p. 39 [même si cet auteur prône une méthode fondée sur la valeur réelle des immeubles]  ; ZK-Higi/Wildisen, 5e éd., Zurich 2022, art. 269a CO N 379 et nbp 374  ; Conod, Protection contre les loyers abusifs, DB 33, N 63 p. 48 ; Conod, Rendement net art. 269 CO ; réévaluation des fonds propres ; taux de rendement des fonds propres, Newsletter Bail.ch décembre 2020 p. 7 ; Rohrer, Konsequenzen aus der Änderung der Rechtsprechung des Bundesgerichts betreffend die zulässige Nettorendite, MRA 3/21 p. 113 ss spéc. p. 122 [traduction en français CdB 2022 p. 34 ss spéc. p. 42]  ; Rohrer, Zulässige Nettorendite, MRA 4/20 p. 181 ; nuancé, Piaget, Le rendement net de la chose louée, 22e Séminaire sur le droit du bail, Bâle/Neuchâtel 2022, N 62 à 64).

Selon l’arrêt attaqué, faute d’une volonté claire du Tribunal fédéral, l’ATF 147 III 14 n’a pas vocation à émettre une règle générale déterminant également le taux d’intérêt applicable en matière de prestations supplémentaires du bailleur, mais se limite à arrêter le rendement admissible des fonds propres dans le cadre de la fixation du loyer initial. Au demeurant, la cour cantonale est d’avis que, en cas d’investissements à plus-value, l’absence de clarté quant aux fonds visés (fonds propres ou non) ou l’existence d’une longue période d’amortissement possible s’opposent à la reprise de la nouvelle jurisprudence.

Dans l’ATF 147 III 14 (consid. 8.4), le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le taux de rendement admissible d’un capital investi par le bailleur en portant de 0,5 à 2 le point de pourcentage en sus du taux hypothécaire de référence lorsque celui-ci est égal ou inférieur à 2%.

A priori rien ne justifie de ne pas appliquer cette nouvelle jurisprudence – sur laquelle il n’y a pas lieu de revenir ici – au rendement du capital créateur de plus-value lors du calcul de la majoration non abusive du loyer selon l’art. 14 al. 4 OBLF. En effet, qu’il s’agisse de la rémunération des fonds propres lors de la fixation du loyer selon la méthode absolue ou de celle de l’investissement à plus-value (à hauteur de la moitié) dans le cadre de la méthode relative, le Tribunal fédéral avait jugé admissible un taux de 0,5% en sus du taux hypothécaire de référence à une période où celui-ci était élevé, ce qui correspondait alors à un rendement de 6%, respectivement 6,5% (consid. 4.3 et 4.3.1 supra). Or, à cette époque-là, les deux calculs de rendement se distinguaient déjà par leurs méthodes et comportaient les mêmes différences qu’aujourd’hui dans les critères à prendre en compte (origine du montant à renter déterminante ou non, amortissement ou non). C’est dire que le parallélisme qui prévalait alors en matière de majoration du taux hypothécaire de référence reste logiquement valable après le changement de jurisprudence consacré à l’ATF 147 III 14 (consid. 4.3.3).

Cette conclusion est confortée par le fait que ce même taux de rendement avait été appliqué précédemment, dans le cadre d’un calcul de rendement net, y compris aux fonds propres affectés à des travaux à plus-value (cf. ATF 147 III 14, consid. 7.2.1 ; 141 III 245, consid. 6.5 in initio).

À cet égard, il convient de souligner que, depuis la première définition donnée à la notion de loyer admissible, dans l’arrêté du Conseil fédéral du 9 avril 1920 concernant les baux à loyer et la pénurie des logements, le législateur n’a jamais opéré de distinction entre, d’une part, le capital utilisé pour le fonds et pour la construction, ou pour l’achat du bâtiment et, d’autre part, les sommes affectées aux transformations et rénovations (cf. rapport du Conseil fédéral du 18 mai 1920 à l’Assemblée fédérale sur l’arrêté en question, FF 1920 III 357 ss, p. 367), ce qui plaide contre un taux d’intérêt différencié selon le type d’investissement réalisé (Daïna, op. cit., N 211 ; Piaget, op. cit., N 62).

Sur le fond, il convient de se demander si un taux augmenté de 0,5% à 2% en sus du taux hypothécaire de référence lorsque celui-ci est égal ou inférieur à 2% se justifie également pour le rendement du capital créateur de plus-value.

L’art. 269a let. b CO et l’art. 14 OBLF tendent à favoriser les prestations supplémentaires du bailleur et singulièrement les améliorations créant des plus-values. Plus spécifiquement, par son caractère à la fois simplificateur et incitatif, la règle de l’art. 14 al. 1 2e phrase OBLF, applicable en cas d’importantes réparations, vise à encourager les bailleurs à rénover les anciens bâtiments, ou du moins à ne pas les en dissuader. En arrêtant la part d’investissement à plus-value entre 50% et 70% du coût total des travaux, cette présomption (certes réfragable) évite au bailleur d’avoir à déterminer la part exacte des travaux à plus-value, ce qui lui sera souvent favorable, et l’encourage à entreprendre des travaux allant au-delà de l’entretien strictement nécessaire (ATF 118 II 415, consid. 3a et 3b ; TF, 11.04.2017, 4A_531/2016, consid. 3.1 ; 30.05.2012, 4A_102/2012, consid. 2.3 ; 20.01.2011, 4A_495/2010, consid. 6.1). C’est le lieu de souligner que l’idée à la base de l’art. 14 OBLF est d’inciter les bailleurs à réaliser régulièrement les travaux d’entretien intervenant selon des cycles longs et à procéder en même temps à des rénovations, les économies de coûts réalisées grâce aux synergies ainsi créées bénéficiant du reste également aux locataires (TF, 19.09.2023, 4A_409/2022, consid. 7.3.2).

Dans cette perspective, une augmentation du rendement possible en cas de travaux à plus-value est assurément de nature à inciter davantage les propriétaires bailleurs à entretenir leurs immeubles et à effectuer des travaux de rénovation. Elle apparaît ainsi conforme au but visé par le législateur. Par ailleurs, cette augmentation reste modérée si l’on admet un supplément de 2% plutôt que de 0,5% au taux hypothécaire de référence lorsque celui-ci est égal ou inférieur à 2%, dès lors notamment que l’intérêt du capital investi pour les travaux à plus-value est divisé par deux dans le calcul fondé sur l’art. 14 al. 4 OBLF.

Il s’ensuit que le taux de rendement jugé admissible dans l’ATF 147 III 14 dans le cadre d’un calcul de rendement net s’applique également dans le cadre du calcul visant à déterminer jusqu’à quel point le bailleur peut augmenter le loyer en raison de prestations supplémentaires.

Le second grief soulevé par la recourante pose la question de savoir si, en cours d’un bail à loyers indexés, lorsque le bailleur procède de manière autorisée à une hausse du loyer liée à des prestations supplémentaires, le locataire peut invoquer une baisse du taux hypothécaire de référence, c’est-à-dire un autre facteur relatif, pour réclamer une réduction de loyer (consid. 5).

Conformément à l’art. 269b CO, les parties peuvent conclure un bail à loyers indexés, en convenant d’une clause d’indexation, à deux conditions : a) le bail est conclu pour cinq ans au moins ; b) la référence est l’indice suisse des prix à la consommation (IPC). Selon la jurisprudence, il est exclu de par la loi de prévoir d’autres facteurs d’adaptation du loyer, à moins que la majoration ne soit justifiée par des prestations supplémentaires du bailleur et que le contrat de bail n’ait réservé expressément cette possibilité (ATF 147 III 32, consid. 3.1 ; 124 III 57, consid. 3a ; 123 III 76, consid. 4c) (consid. 5.1).

Durant la durée fixe (d’au moins cinq ans) d’un bail à loyers indexés (« période d’indexation »), le loyer ne dépend, sous réserve d’une contestation du loyer initial, que de la variation de l’IPC (art. 270c CO) ; en particulier, l’évolution du taux hypothécaire de référence ne peut donner lieu à aucune adaptation du loyer (ATF 150 III 71, consid. 3.1 ; 147 III 32, consid. 3.2 et 3.3).

A l’expiration de la durée initiale (d’au moins cinq ans) d’un bail indexé, que celui-ci prévoie une reconduction tacite pour cinq ans ou pour une durée inférieure, chaque partie peut, en respectant le délai de résiliation, demander une adaptation du loyer en invoquant la méthode relative, en particulier une réduction (art. 270a CO) ou une augmentation (art. 269d CO) fondées sur la variation du taux hypothécaire de référence (ATF 150 III 71, consid. 3.2 ; 147 III 32, consid. 3.4 et 3.4.1).

Pour trancher la question spécifique posée dans le présent cas, il faut bien se représenter que, en cours d’un bail à loyers indexés, l’indexation à l’IPC est un mode exclusif de fixation du loyer. Les parties renoncent donc à se prévaloir d’autres facteurs, tels que l’évolution des charges, notamment financières, pendant toute la durée du bail. Ceci vaut autant pour le bailleur que pour le locataire. Il y a une exception dégagée par la jurisprudence : dans la mesure où les parties ont expressément prévu cette possibilité, le loyer peut être augmenté si le bailleur fournit une prestation supplémentaire (art. 269a let. b CO) ; tel est le cas de travaux à plus-value (art. 14 al. 1 OBLF). Cette exception n’équivaut toutefois pas à une brèche. Elle ne permet pas à tous les facteurs relatifs de s’engouffrer dans un système que le législateur a voulu calquer sur l’IPC seul (cf. art. 270c CO). En d’autres termes, le locataire peut parfaitement opposer au bailleur que la hausse de loyer liée à des prestations supplémentaires est abusive ; l’augmentation en cause (et l’augmentation seule) est alors scrutée pour déterminer si le rendement qu’en tire le bailleur est excessif, selon les principes dégagés ci-dessus (consid. 4). En revanche, le locataire ne peut pas invoquer en réaction des facteurs relatifs tels que l’évolution du taux hypothécaire de référence pour réclamer une réduction de loyer compensant voire dépassant la hausse querellée ; de telles adaptations, étrangères à l’IPC, ont été exclues par les parties lorsqu’elles ont convenu d’un bail à loyers indexés. C’est à l’expiration de la durée du bail indexé qu’une telle possibilité sera à nouveau ouverte aux parties. La doctrine ne semble d’ailleurs guère envisager les choses autrement, même si c’est plutôt le silence sur la possibilité querellée qui est éloquent (cf. entre autres CR CO-Lachat/Bohnet, 3éd., Bâle 2021, art. 269b CO N 1 ; Lachat/Stastny, Le bail à loyer, Lausanne 2019, p. 644 ch. 2.1.4.) (consid. 5.2).

En l’espèce, la bailleresse a notifié l’avis de majoration de loyer motivé par les travaux à plus-value en janvier 2019 avec effet au 1er octobre 2019, soit pendant la deuxième période d’indexation du bail à loyers indexés reconduit pour cinq ans en octobre 2017. En réaction à cette hausse de loyer, les locataires ont invoqué la diminution du taux hypothécaire de référence depuis le 1er octobre 2012 pour obtenir une baisse de loyer à partir du 1er octobre 2019. Conformément aux principes rappelés plus haut, cette possibilité ne leur était alors pas ouverte. Ce n’est, le cas échéant, qu’au terme de la période d’indexation qu’ils disposeront de la faculté d’invoquer ce facteur relatif (consid. 5.3).

Mis en avant par la cour cantonale, l’argument pris de l’égalité des parties n’est guère de nature à dicter une autre solution. Pas plus que les situations dépeintes par les locataires dans leur mémoire de réponse, notamment les baux de longue durée et la baisse du taux hypothécaire durant le bail indexé suivie d’une hausse à son terme. La situation contraire est tout aussi envisageable. L’injustice qu’ils décrivent n’a rien d’évident et, contrairement à ce qu’ils affirment, ils ne sont pas privés de tout argument face à une hausse de loyer motivée par des travaux à plus-value.

C’est donc à tort que la cour cantonale a compensé en partie la hausse de loyer justifiée par les travaux à plus-value entrepris par la bailleresse avec la baisse liée à la diminution du taux hypothécaire de référence. Le recours est fondé également sur ce point.

Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être entièrement admis (consid. 6).

III. Analyse

La solution retenue par le Tribunal fédéral a pour avantage sa simplicité : le même taux de rendement s’applique lors du calcul du rendement net des fonds propres investis et pour le rendement des fonds investis dans des travaux à plus-value, soit un taux de rendement de 2% en sus du taux hypothécaire de référence tant que celui-ci est égal ou inférieur à 2% (ATF 147 III 14, consid. 8.4). Il est vrai que dans son ancienne jurisprudence, le Tribunal fédéral ne distinguait pas le taux de rendement dans ces deux hypothèses, si bien que les diverses théories prônées par la doctrine sensible aux intérêts des locataires et visant à les distinguer revenaient en fait à proposer un nouveau revirement de jurisprudence. Or le Tribunal fédéral n’était pas entré dans de fins débats à l’époque (ATF 112 II 149 pour le rendement net et ATF 118 II 415 pour les travaux à plus-value), si bien qu’il ne se justifiait sans doute pas de faire de profondes réflexions à ce stade. Piaget relevait d’ailleurs que le législateur lui-même n’avait jamais fait de distinction entre le capital employé pour le fonds et pour la construction, ou pour l’achat du bâtiment, et les sommes affectées aux transformations (Piaget, op. cit., N 62). Dans ces conditions, le Tribunal fédéral avait de bons arguments pour maintenir sa ligne. Il pourra aussi échafauder une solution unique lorsque le taux dépassera 2%. A notre sens, le rendement admissible de 4% devrait s’appliquer jusqu’à un taux de référence de 3.5%, puis passer à 4.25% si le taux devait atteindre 3.75%, et à 4.5% si le taux devait atteindre 4%, et ainsi de suite (dans ce sens : Piaget, op. cit., N 37). Manifestement, au vu des motifs qu’il a avancés à l’appui de sa modification de la jurisprudence, le Tribunal fédéral n’a pas voulu d’un retour à un rendement admissible de 2.75% en cas de taux hypothécaire de référence de 2.25% (sur le calcul : Piaget, op. cit., N 37). On peut ainsi partir de l’idée que le Tribunal fédéral a considéré qu’au-delà d’un rendement des fonds propres investis de 4%, il ne se justifiait plus de déroger à la jurisprudence antérieure.

Quant à la question de l’opposabilité de critères relatifs (en particulier l’évolution du taux hypothécaire) à l’augmentation de loyer fondée sur les travaux à plus-value dans un bail indexé, elle a été logiquement rejetée par le Tribunal fédéral, seul l’IPC et lesdits travaux (si le bail le prévoit ; ATF 124 III 57, consid. 3a, SJ 1998 276) pouvant être invoqués durant la période d’indexation. Il est du reste évident que le locataire ne peut pas invoquer le taux hypothécaire en réaction à une adaptation fondée sur l’IPC dans un bail indexé (CR CO I-Lachat/Bohnet, op. cit., art. 269b N 1) et la logique est la même pour les travaux à plus-value.

Proposition de citation
François Bohnet, Travaux à plus-value : taux de rendement admissible et opposabilité de critères relatifs en cas de bail indexé (arrêt 4A_75/2022, destiné à la publication), Newsletter bail.ch octobre 2024
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