Analyse de l'arrêt TF 4A_284/2024

Blaise Carron, Professeur à l'Université de Neuchâtel, LL.M. (Harvard), Dr en droit, avocat spécialiste FSA droit du bail, avocat spécialiste FSA en droit de la construction et de l’immobilier

La résiliation extraordinaire pour violation du devoir de diligence (art. 257f al. 3 CO) : rappels généraux et cas particulier des auxiliaires du locataire

I. Objet de l’arrêt

L’arrêt 4A_284/2024 porte sur la résiliation de contrats de bail avec effet immédiat (art. 257f al. 3 CO) en raison, principalement, de comportements imputables au fils de la locataire.

II. Résumé de l’arrêt

A. Les faits

Le 13 septembre 2004, A. (ci-après : la bailleresse) a conclu un contrat de bail avec B., C. et D., portant sur un logement de quatre pièces sis à Genève. L’immeuble est géré par la régie E. SA. Par avenant du 19 octobre 2012, B. (ci-après : la locataire) est devenue seule titulaire du bail. Après s’être mariés en 2017, la locataire et son époux F. (ci-après : ensemble, les locataires) sont devenus les deux locataires de l’appartement, par avenant du 15 août 2017.

A partir de mai 2016, la gérance a régulièrement écrit à la locataire au sujet du comportement de cette dernière.

Ainsi, par courrier du 18 mai 2016, la régie a informé la locataire qu’elle avait reçu diverses plaintes de son voisinage. Il lui était reproché d’entreposer des sacs d’ordures dans son jardin durant plusieurs jours, engendrant des odeurs nauséabondes ; elle écoutait, en outre, de la musique à fort volume à toute heure. Il était par ailleurs précisé que les voisins lui avaient déjà communiqué directement leurs doléances, tant par oral que par écrit.

Le 3 juillet 2017, la régie a informé la locataire qu’elle avait constaté la présence de vélos devant sa porte palière. La régie lui a rappelé qu’il était interdit d’entreposer des objets dans les parties communes de l’immeuble, conformément aux règles et usages locatifs du canton de Genève.

Le 10 juillet 2018, la régie a fait parvenir à la locataire une facture consécutive aux dégâts causés à l’immeuble notamment par son fils, G., ainsi que d’autres jeunes individus. Les dégâts avaient été perpétrés dans le parking souterrain de l’immeuble. Les intéressés avaient cassé la vitre derrière laquelle se trouvait un extincteur et l’avaient vidé sans droit. L’extincteur avait dû être rechargé et la vitre le protégeant réparée. Parmi le groupe de jeunes individus auteurs des multiples incivilités, seul G. était résident de l’immeuble. Lui seul détenait les clés des espaces communs, dont celles du parking.

Par pli du 19 mars 2019, la régie a informé les locataires qu’elle avait constaté qu’un vélomoteur était stationné devant leur porte palière, ce qui était intolérable. Ce courrier faisait office d’unique et ultime avertissement suite « aux incivilités relevées dans le parking souterrain », sous menace de résiliation du contrat de bail.

Par courrier du 21 mars 2019, la régie a adressé aux locataires une facture relative à la réparation de dégâts causés par leur fils. Le courrier relevait que celui-ci avait fumé dans le parking et uriné dans la cage d’escalier. La lettre faisait à nouveau office d’avertissement, sous menace de résiliation du contrat de bail.

Par lettre du 26 mars 2019, les locataires ont contesté que leur fils ait été impliqué dans les déprédations visées dans les courriers précités. Celui-ci avait toutefois garé son vélomoteur devant leur porte palière durant deux heures, ce dont les locataires s’excusaient.

Le 11 avril 2019, la régie a maintenu les termes de ses précédents courriers, précisant que deux témoins avaient vu G. commettre les incivilités reprochées.

Le 15 novembre 2019, la régie a déposé une plainte pénale contre inconnu pour des dommages à la propriété commis dans le parking de l’immeuble : dans la nuit du 10 au 11 novembre, trois boîtes contenant des extincteurs avaient été endommagées, l’un des extincteurs avait été utilisé dans le garage et des graffitis avaient été dessinés sur les murs. Par ordonnance pénale du 4 février 2021, le tribunal pénal des mineurs a reconnu G. coupable de diverses infractions. Cette décision fait notamment suite à la plainte du 15 novembre 2019 et retient que G. avait saccagé une boîte à extincteur de manière puérile et désinvolte.

Par avis officiels du 16 décembre 2019 envoyés aux locataires, la bailleresse, se fondant sur l’art. 257f CO et faisant référence à ses précédents courriers demeurés sans effet, a résilié les baux portant sur l’appartement et la place de stationnement avec effet au 31 janvier 2020.

Les locataires ont contesté les congés par-devant la commission de conciliation en matière de baux et loyers. Lors de l’audience de conciliation du 4 juin 2020, un délai d’épreuve au 31 décembre 2020 a été accordé aux locataires.

En avril 2020, la bailleresse a fait installer des caméras de surveillance en réaction au comportement de G. et des personnes qu’il invitait dans l’immeuble.

Le 22 mai 2020, le concierge de l’immeuble a rédigé une attestation dans laquelle il mentionnait être confronté depuis deux ans à plusieurs actes de vandalisme (occupation du garage et dégradation de celui-ci par des graffitis, des déchets, de l’urine, des ampoules cassées et par l’utilisation récréative d’un extincteur). Il a précisé que ces actes étaient commis par de jeunes habitants du quartier, dont G.

La société H. SA, mandatée par la régie afin d’assurer la sécurité dans l’immeuble, a établi 26 rapports entre mars 2020 et septembre 2021. Il en ressort que plusieurs habitants et jeunes du quartier, dont G., faisaient du bruit à des heures tardives, utilisaient et entreposaient un vélomoteur hors des cases réservées à cet effet, laissaient des déchets sur le sol et occupaient les caves avec une chaise pour y fumer des cigarettes et des stupéfiants.

À l’audience de conciliation du 18 janvier 2021, aucun accord n’a pu être trouvé. Agissant seule, la locataire a porté la cause devant le tribunal de première instance le 16 février 2021, lequel l’a déboutée de ses conclusions, pour défaut de légitimation active, par jugement du 27 octobre 2021. Il ressort de cette procédure que F. s’est constitué un domicile séparé depuis le 1er janvier 2021. Le 22 septembre 2021, il a informé le tribunal que, ne vivant plus dans l’appartement, il ne contestait plus le congé extraordinaire qui leur avait été notifié.

Par requête introduite le 25 avril 2022 auprès de la commission de conciliation, déclarée non conciliée puis portée auprès du Tribunal des baux et loyers, la bailleresse a conclu à l’évacuation immédiate de la locataire de l’appartement et de la place de stationnement avec exécution directe.

La locataire a conclu, sur demande principale, à ce que le tribunal déboute la bailleresse de ses conclusions et, sur demande reconventionnelle, à ce qu’il dise et constate l’inefficacité des congés.

Par jugement du 31 octobre 2023, le tribunal de première instance a condamné la locataire à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens, ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec elle, l’appartement et la place de stationnement.

Statuant le 12 avril 2024, la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève a admis l’appel de la locataire, annulé le jugement de première instance, déclaré inefficaces les congés notifiés le 16 décembre 2019 par la bailleresse et débouté cette dernière des fins de sa requête en évacuation.

La bailleresse forme un recours en matière civile à l’encontre de cet arrêt.

B. Le droit

Le Tribunal fédéral souligne en premier lieu que le litige porte sur l’évacuation de la locataire des locaux loués, de sa personne, de ses biens et de toute autre personne faisant ménage commun avec elle. La locataire invoque l’inefficacité des résiliations que la bailleresse lui a signifiées sur la base de l’art. 257f al. 3 CO, malgré une précédente procédure qu’elle a menée devant le tribunal de première instance de Genève et au terme de laquelle, par jugement du 27 octobre 2021, elle a été déboutée pour défaut de légitimation active (son colocataire, F., n’ayant pas participé à cette procédure). Les congés inefficaces, à l’instar des congés frappés de nullité, ne doivent pas nécessairement être attaqués dans le délai de trente jours de l’art. 273 al. 1 CO. Ceci signifie que, si le locataire entend contester un congé fondé sur l’art. 257f CO au motif qu’il n’a, à son avis, pas enfreint ses devoirs envers le bailleur ou les voisins, il peut notamment soulever ce moyen au stade de sa défense dans l’action en évacuation des locaux que le bailleur lui intentera après l’expiration du délai de congé. Partant, la question de l’efficacité de la résiliation du bail peut être débattue, sachant que, dans le cas présent, elle n’a pas été tranchée par le jugement du 27 octobre 2021 (consid. 3).

Le Tribunal fédéral examine ensuite si la bailleresse pouvait valablement résilier le contrat de bail en application de l’art. 257f al. 3 CO. Selon cette disposition, lorsque le maintien du bail est devenu insupportable pour le bailleur ou les personnes habitant la maison parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite du bailleur, persiste à enfreindre son devoir de diligence ou à manquer d’égards envers les voisins, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat ; les baux d’habitation et de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d’un mois (consid. 4).

L’art. 257f al. 3 CO vise un cas particulier d’inexécution des obligations, spécifique à la relation entre bailleur et locataire, et en règle les effets. Dans son domaine de validité, il exclut l’application des règles générales de l’art. 107 CO relatif aux droits de la partie qui ne parvient pas à obtenir le respect d’un contrat (consid. 4.1).

La résiliation basée sur l’art. 257f al. 3 CO suppose la réalisation de cinq conditions cumulatives : (i) une violation du devoir de diligence incombant au locataire, (ii) un avertissement écrit préalable du bailleur, (iii) la persistance du locataire à ne pas respecter son devoir en relation avec le manquement évoqué par le bailleur dans sa protestation, (iv) le caractère insupportable du maintien du contrat pour le bailleur et, enfin, (v) le respect d’un préavis de trente jours pour la fin d’un mois (consid. 4.2).

S’agissant de la condition (i) (violation du devoir de diligence incombant au locataire), le comportement du locataire doit constituer une violation de son devoir de diligence ou un usage de la chose violant les stipulations du contrat. Le manquement reproché au locataire doit atteindre une certaine gravité. Cette violation n’est pas nécessairement le fait du locataire, lequel répond des actes de ses auxiliaires, soit notamment des personnes avec qui il vit, des visites, des employés ou des sous-locataires (consid. 4.2).

La condition (ii) (avertissement écrit préalable) est respectée si l’avertissement indique précisément quelle violation est reprochée au locataire, afin que celui-ci puisse rectifier son comportement (consid. 4.2).

Quant à la condition (iii) (persistance du locataire à ne pas respecter ses devoirs), elle suppose que les perturbations se poursuivent malgré la mise en demeure (consid. 4.2).

L’excès de bruit et l’irrespect des règles d’utilisation des parties communes constituent, en cas de réitération malgré un avertissement, des motifs typiques de congé pour manque d’égard envers les voisins. Le constat de leur existence relève du fait et n’est corrigé par le Tribunal fédéral que s’il est manifestement inexact (art. 97 al. 1 LTF), c’est-à-dire arbitraire (art. 9 Cst.), et qu’un grief suffisamment précis et détaillé le démontre (art. 106 al. 2 LTF) (consid. 4.3).

Pour apprécier la validité du congé anticipé, le juge doit prendre en considération le motif de congé invoqué par le bailleur et se placer au moment où il a été notifié (consid. 4.4).

Dans le cas présent, la cour cantonale a estimé que les résiliations de bail étaient inefficaces, deux des conditions de l’art. 257f al. 3 CO faisant défaut. D’une part, elle a estimé qu’on ne pouvait pas retenir une violation du devoir de diligence de la locataire (condition [i]), car il n’était pas établi que le fils de la locataire ait commis les actes qui lui étaient reprochés dans les avertissements écrits des 19 et 21 mars 2019. D’autre part, elle a considéré que le caractère insupportable du maintien du contrat pour le bailleur (condition [iv]) n’était pas démontré. Elle n’a pas examiné les trois autres conditions de la résiliation fondée sur l’art. 257f al. 3 CO (consid. 5).

La bailleresse reproche d’abord à l’instance précédente d’avoir arbitrairement constaté qu’aucun des actes décrits dans les avertissements des 19 et 21 mars 2019 n’était avéré, respectivement n’était imputable au fils de la locataire. Le Tribunal fédéral donne raison à la bailleresse. Après avoir rappelé la teneur de ces deux courriers, il retient d’abord que ces avertissements étaient suffisamment explicites. On comprend donc qu’il estime que la condition (ii) (avertissement écrit préalable du bailleur) est remplie (consid. 6.1). Ensuite, le Tribunal fédéral considère la cour cantonale a sombré dans l’arbitraire en considérant les incivilités reprochées n’étaient pas démontrées. En particulier, il constate que le concierge de l’immeuble avait indiqué (par attestation écrite du 22 mai 2020 et par témoignage en audience) avoir été confronté depuis deux ans à des actes de vandalisme attribués à jeunes habitants du quartier, dont G. ; en outre, la locataire avait reconnu divers faits. Le fait que l’attestation du concierge avait été établie après la date de la résiliation et que les autres locataires de l’immeuble n’avaient pas témoigné n’est pas déterminant aux yeux du Tribunal fédéral. De plus, ce dernier souligne que le fils de la locataire était le seul – dans la bande de jeunes – à disposer des clés de l’immeuble, de sorte que c’est grâce à lui que les dégâts ont été commis. Dans la mesure où la locataire répond du comportement de son fils et que ces actes s’apparentent à une violation du devoir de diligence de la locataire, la condition (i) permettant une résiliation sur la base de l’art. 257f al. 3 CO est bien réalisée (consid. 6.2).

Le Tribunal fédéral relève ensuite que la condition (iii) (persistance du locataire à ne pas respecter son devoir) n’a pas été examinée par la cour cantonale, mais que celle-ci est également remplie : il est établi que, la nuit du 10 au 11 novembre 2019 – soit après les avertissements faits en mars 2019 – G. et d’autres membres de son groupe ont commis intentionnellement des actes de vandalisme dans le parking souterrain de l’immeuble dont G. était seul à détenir la clé. Le Tribunal fédéral souligne au passage que cet événement aurait « peut-être même fondé une résiliation immédiate du contrat de bail sans avertissement préalable (art. 257f al. 4 CO) » (consid. 6.3).

Pour ce qui est de la condition (iv) (caractère insupportable pour la bailleresse de la poursuite de la relation contractuelle est litigieuse), le Tribunal fédéral retient – contrairement à la cour cantonale – que celle-ci est réalisée. Il relève que, sans avoir à se référer à des faits postérieurs à la résiliation du 16 décembre 2019, il est établi que la bailleresse a été confrontée aux actes réitérés du fils de la locataire et de sa bande, qu’ils sont (pour certains) pénalement répréhensibles, qu’ils se sont étalés sur une longue période et qu’ils dénotent un mépris total pour les autres habitants de l’immeuble ainsi que la propriétaire bailleresse (consid. 6.4).

Enfin, la condition (v) (respect d’un préavis de trente jours pour la fin d’un mois) est manifestement satisfaite – la bailleresse ayant résilié les baux le 16 décembre 2019 avec effet au 31 janvier 2020 – et non remise en question par la locataire (consid. 6.5).

En définitive, les résiliations de bail ont été effectuées conformément à l’art. 257f al. 3 CO et sont valables. Les baux ont donc pris fin le 31 janvier 2020 et c’est à bon droit que la bailleresse requiert l’évacuation de la locataire des locaux et de la place de stationnement en question (consid. 6.6). Le recours en matière civile est par conséquent admis, l’arrêt attaqué annulé et réformé en ce sens que la requête de la bailleresse en évacuation de la locataire doit être admise (consid. 7).

III. Analyse

L’arrêt commenté, consacré à la résiliation extraordinaire de l’art. 257f al. 3 CO, permet de faire cinq rappels utiles au sujet de cette institution :

1° Les conditions et la nature de l’art. 257f al. 3 CO. Dans une pratique maintenant établie, la jurisprudence retient constamment cinq conditions cumulatives pour que l’art. 257f al. 3 CO s’applique : (i) une violation du devoir de diligence incombant au locataire, (ii) un avertissement écrit préalable du bailleur, (iii) la persistance du locataire à ne pas respecter son devoir en relation avec le manquement évoqué par le bailleur dans sa protestation, (iv) le caractère insupportable du maintien du contrat pour le bailleur et, enfin, (v) le respect d’un préavis de trente jours pour la fin d’un mois. Soulignons que la dernière condition ne s’applique qu’aux baux d’habitations et de locaux commerciaux. L’art. 257f al. 3 CO a une nature relativement impérative (CPra Bail-Carron/Wessner, 3e éd., Bâle, à paraître, art. 257f CO N 4).

2° L’articulation avec les règles générales sur l’inexécution des obligations (art. 97 ss, 107 CO). L’arrêt commenté (consid. 4.1) rappelle utilement que l’art. 257f al. 3 CO constitue une lex specialis applicable au droit du bail. Cette disposition exclut donc l’application des règles sur la demeure qualifiée en cas d’inexécution (art. 107 ss CO ; cf. ég. ATF 132 III 109, consid. 5 ; TF, 09.02.2021, 4A_468/2020, consid. 4.1).

3° Les effets matériel et procédural d’un congé inefficace. Dans l’arrêt commenté, le Tribunal fédéral se pose la question de l’efficacité ou non du congé prononcé le 16 décembre 2019 par la bailleresse. Pour rappel, un congé est inefficace, c’est-à-dire qu’il ne produit pas d’effet juridique, lorsqu’il ne satisfait pas à une ou plusieurs conditions matérielles posée par la loi ou le contrat (TF, 10.11.2016, 4A_347/2016, consid. 3.1.2).

On le distingue des congés suivants (à ce sujet, CPra Bail-Carron/Wessner, 3e éd., Bâle, à paraître, art. 257f CO N 44 ss) :

  • les congés nuls qui ne respectent pas une condition formelle, par exemple l’usage de la formule officielle (art. 266l al. 2 CO) ou les règles applicables au logement de famille (art. 266n CO) ;
  • les congés annulables qui contreviennent à la bonne foi au sens des art. 271 ss CO, par exemple lorsque le changement de la situation familiale du locataire (p. ex. l’arrivée d’un nourrisson augmente les immissions sonores en générant des plaintes discutables d’autres locataires) (art. 271a al. 1 let. f CO) ;
  • les congés convertibles qui consistent à transformer un congé extraordinaire vicié en un congé ordinaire et dont l’admissibilité dont être niée (dans ce sens, ATF 135 III 441, consid. 3 ; ZK Higi/ Bühlmann, art. 257f OR N 72 ; BK-Giger, art. 257f OR N 110).

Un congé inefficace parce qu’il ne respecte pas une des conditions matérielles de l’art. 257f al. 3 CO est frappé de nullité absolue. Cela signifie que le congé ne produit pas d’effets juridiques et que cette conséquence doit être relevée d’office et en tout temps par le tribunal. On notera que tant les congés nuls que les congés inefficaces – une distinction spécifique au droit du bail et que l’on ne retrouve pas clairement dans la théorie générale des obligations qui tend à les confondre – sont sanctionnés par une nullité absolue (au sujet de la nullité absolue en cas de violation d’une règle impérative, cf. Carron/Wessner, Droit des obligations, Partie générale, Volume II : la formation du contrat – les conditions générales d’affaires – l’interprétation du contrat – l’exécution, Berne 2024, N 2741 ss et réf.).

Un congé inefficace n’a donc pas besoin d’être contesté dans le délai de trente jours de l’art. 273 al. 1 CO (ATF 121 III 156, consid. 1c). Dans l’arrêt commenté, le fait que le congé prononcé le 16 décembre 2019 soit inefficace autorise donc la locataire à soulever ce moyen de défense deux ans et demi (avril 2022) après la notification du congé, dans le cadre de l’action en évacuation intentée par le bailleur (ATF 122 III 92, consid. 2d). La locataire peut même le faire après avoir été déboutée dans un premier jugement rendu en octobre 2021 suite à une action en contestation du congé qu’elle avait introduite au début 2020. En effet, ce jugement n’avait pas tranché la question de l’efficacité de la résiliation du bail mais s’était contenté de constater le défaut de légitimation active de la locataire, car celle-ci avait introduit seule son action formatrice en contestation du congé sans impliquer son mari et colocataire F., alors qu’elle aurait soit dû le faire conjointement avec lui comme consort, soit l’assigner en tant que défendeur aux côtés du bailleur (ATF 145 III 281, consid. 3.1 ss, commenté par Bohnet, Le logement de famille, le congé et la consorité des époux colocataires [arrêt 4A_570/2018], Newsletter Bail.ch septembre 2019).

4° L’auteur de la violation du devoir de diligence (condition [i]). L’art. 257f al. 3 CO parle du fait que le locataire persiste « à enfreindre son devoir de diligence ou à manquer d’égards envers les voisins ». On peut faire les commentaires suivants au sujet de cette condition. D’abord, le manquement reproché englobe non seulement une violation du devoir de diligence mais également le cas où le locataire use de la chose en violation des devoirs du contrat (ATF 132 III 109, consid. 5) ; dans tous les cas, le manquement doit revêtir une certaine gravité (ATF 134 III 300, consid. 3.1). Ensuite, un cas typique de violation du devoir de diligence et de manque d’égards envers les voisins consiste dans l’excès de bruit et le non-respect des règles d’utilisation des parties communes (ATF 136 III 65, consid. 2.5), ce que confirme l’arrêt commenté (consid. 4.3). Enfin, la violation n’a pas besoin d’être nécessairement le fait du locataire, car celui-ci répond également du comportement de ses auxiliaires, à savoir notamment les personnes avec qui il vit, les visites, les employés ou les sous-locataires (consid. 4.2 ; ég. TF, 05.09.2017, 4A_227/2017, consid. 5.1.2 ; CPra Bail-Carron/Wessner, 3e éd., Bâle, à paraître, art. 257f CO N 7 et réf.).

5° Le moment pertinent pour apprécier la validité du congé. La Cour cantonale avait admis l’appel de la locataire parce que la bailleresse n’avait, selon les juges, pas prouvé suffisamment la violation du devoir de diligence par la locataire (condition [i]) et le fait que la poursuite de la relation contractuelle serait devenue insupportable (condition [iv]). La Cour cantonale a en particulier critiqué le fait que les juges de première instance avaient pris en considération des faits postérieurs à la résiliation (consid. 5). Le Tribunal fédéral renverse le jugement cantonal en admettant l’existence de ces conditions, en précisant qu’il le fait sans qu’il soit besoin de se référer à des faits postérieurs à la résiliation du bail (consid. 6.4). Au-delà de l’appréciation divergente des faits par les deux instances, celles-ci s’accordent sur le fait que seuls des faits antérieurs ou concomitants à la résiliation peuvent justifier une résolution fondée sur l’art. 257f al. 3 CO : le moment pertinent est donc bien celui de la notification du congé par la bailleresse à la locataire. Cela dit, pour établir l’existence de ces conditions, il n’est pas interdit de se fonder sur des preuves recueillies postérieurement au congé, dans la mesure où elles concernent des faits antérieurs à celui-ci. Dans l’arrêt commenté (consid. 6.2), le Tribunal fédéral a notamment pris en compte une déclaration écrite du concierge établie le 22 mai 2020, soit six mois après la résiliation, et a précisé que la Cour cantonale avait eu tort de l’écarter puisqu’elle confirmait l’existence d’actes de vandalisme dans les deux années précédentes, période qui comprenait à n’en point douter des faits antérieurs à la résiliation.

Résiliation

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Expulsion

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Diligence

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