Analyse de l'arrêt TF 4A_433/2023, 4A_451/2023

Patricia Dietschy, Professeure à l'Université de Lausanne, juge suppléante au Tribunal cantonal vaudois

L’interprétation de la conclusion du locataire en déconsignation des loyers

I. Objet de l’arrêt

L’arrêt porte sur la question de l’interprétation d’une conclusion en libération, en faveur du locataire, des loyers consignés suite à un défaut, plus particulièrement de la formulation selon laquelle les loyers consignés doivent lui être attribués « en conséquence ».

II. Résumé de l’arrêt

A. Les faits

A. SA est locataire de locaux commerciaux en ville de Neuchâtel. B. en est la bailleresse. Deux contrats de bail à loyer ont été conclus à cet égard, le 25 juillet 2014.

Le litige porte d’une part sur la durée des deux baux, étant précisé que la locataire les a résiliés, d’autre part sur une réduction de loyer consécutive à des défauts des locaux loués.

Aucune des parties n’a déposé un exemplaire original des baux litigieux. D., administrateur doté de la signature individuelle et membre de la direction de la locataire, a visité les locaux pour la première fois le 15 juillet 2014 ; il a alors fait part de son intérêt et demandé par courriel (e-mail) du même jour à la bailleresse les conditions de location. Cette dernière a notamment précisé, par courriel du 16 juillet 2014, quelles garanties étaient requises (six mois de loyer pour chaque local). Un échange d’e-mails est intervenu le 18 juillet 2014 à ce sujet. Des courriels ont encore été échangés les 20, 21, puis 23 et 24 juillet 2014. Puis, le représentant prénommé de la locataire s’est empressé de signer la dernière page numérisée de chacun des deux baux le vendredi 25 juillet 2014 peu après midi : il voulait encore constituer les garanties de loyer l’après-midi même auprès de la Banque G., avant son départ en vacances et celui de son associé jusqu’au 16 août 2014, ce dont il avait informé la bailleresse. Pressée par les circonstances, et vu le rapport de confiance prévalant alors entre les parties, cette dernière n’avait envoyé à la locataire que la dernière page des deux baux en format PDF ; elle a certes envoyé le même jour un second courriel distinct, en format Word, contenant deux baux dans leur intégralité, mais ces documents-ci n’ont pas été signés. Copies d’un texte élaboré par la Chambre immobilière neuchâteloise, ils indiquaient que les baux se renouvelaient, après le 31 décembre 2014, pour une « première » période de cinq ans, puis de cinq ans en cinq ans. Les magistrats neuchâtelois (première instance, puis appel) ont néanmoins retenu que conformément à la volonté des parties, les deux baux se renouvelleraient, après le 31 décembre 2014, pour une « première » période de cinq ans, puis d’année en année.

Par lettre recommandée du 14 juillet 2020, la locataire a déclaré résilier les deux baux pour le 28 février 2021. La bailleresse a répondu par courriel du 2 septembre 2020 qu’elle situait la prochaine échéance de résiliation au 28 février 2030.

Par écrit du 9 décembre 2020, la locataire a demandé une réduction de loyer depuis septembre 2014 et sommé la bailleresse d’effectuer les travaux nécessaires au maintien d’une « température acceptable » dans les locaux loués en l’avertissant qu’à défaut, elle serait contrainte de consigner les loyers. La bailleresse a répondu, par courriel du 29 décembre 2020, qu’elle ne donnerait suite à aucune de ces demandes.

La locataire n’a finalement pas quitté les locaux le 28 février 2021. Elle a consigné le loyer de février 2021 auprès de la Banque H., ainsi que les loyers subséquents.

Par courrier du 2 mars 2021, la locataire a résilié les baux pour le 28 février 2022. Elle a restitué les clés par courrier recommandé du 25 février 2022.

Le 2 mars 2021, la locataire a vainement saisi l’autorité de conciliation, puis a porté sa demande le 18 mai 2021 devant le Tribunal civil régional du Littoral et du Val-de-Travers. Elle entendait notamment faire constater la date de fin des baux (au 28 février 2022 selon elle), obtenir une réduction de loyer de 20 % dès le 1er mars 2016 et « jusqu’à l’élimination totale des défauts », la restitution du trop-perçu corrélatif (CHF 810.- par mois) avec intérêts, faire constater la « validité de la consignation des loyers », et se voir attribuer les loyers consignés « en conséquence ».

Par jugement du 29 novembre 2022, le tribunal a constaté que les deux baux commerciaux liant les parties avaient pris fin le 28 février 2022. Il a considéré que les défauts allégués étaient avérés et que la locataire avait droit à une réduction de 15 % du loyer afférent au local de 170 m2, plus exactement sur une superficie de 166 m2 (CHF 351.53 x 42 mois [entre mars 2016 et février 2022], soit CHF 14’764.25 au total), et de celui-là seul. Il a ordonné la libération en faveur de la locataire de l’entier des avoirs déposés sur les deux comptes de garantie de loyer ouverts auprès de la Banque G. à titre de sûretés, a condamné la bailleresse à restituer à la locataire le trop-perçu de loyer de CHF 14’764.25, plus intérêts à 5 % l’an dès le 1er février 2019, moins CHF 2’812.25 ; il a constaté la validité de la consignation de loyer effectuée auprès de la Banque H., a ordonné, à hauteur de CHF 2’812.25 (soit CHF 351.53 x 8 mois « froids » entre février 2021 et février 2022), la libération des loyers consignés en faveur de la locataire et le solde en faveur de la bailleresse ; enfin, il a rejeté toutes autres conclusions, conclusions reconventionnelles comprises, dans la mesure de leur recevabilité.

La Cour d’appel civile du Tribunal cantonal neuchâtelois a confirmé la décision de première instance.

Tant la locataire que la bailleresse forment un recours en matière civile au Tribunal fédéral. La locataire demande d’annuler les chiffres 2 à 5 de l’arrêt sur appel cantonal et, partant, de condamner la bailleresse à lui restituer, à titre de trop-perçu de loyer, la somme de CHF 14’764.25, augmentée d’un intérêt à 5 % l’an, et de libérer les loyers consignés auprès de la Banque H. à concurrence du montant susdit en sa faveur, et d’octroyer le solde à la bailleresse. La bailleresse entend quant à elle faire constater que les deux baux sont « toujours valables » et « prendront fin au plus tôt le 28 février 2025 », qu’elle ne doit rien à titre d’un quelconque défaut des locaux loués et que les loyers consignés doivent être libérés en sa faveur.

B. Le droit

Le Tribunal fédéral se penche d’abord sur la constatation inexacte des faits dénoncée par la bailleresse concernant la conclusion des baux et leur teneur quant à la durée, respectivement quant aux conditions de résiliation. Selon notre haute cour, le tribunal supérieur neuchâtelois a appliqué correctement les principes gouvernant l’interprétation des contrats (voir entre autres ATF 144 III 93, consid. 5.2), en faisant primer l’interprétation subjective sur l’interprétation selon le principe de la confiance. En bref, il est constant qu’après un premier renouvellement de cinq ans, les deux baux étaient résiliables d’année en année, et non pas de cinq ans en cinq ans, comme voulait le faire constater la bailleresse. Le Tribunal fédéral ne peut que confirmer que la volonté des parties établie par les magistrats neuchâtelois échappe au grief d’arbitraire ; les juges cantonaux se sont longuement exprimés sur ce thème, et d’une manière qui ne prête pas flanc aux critiques de la bailleresse. Il s’ensuit que les baux ont été légitimement résiliés pour le 28 février 2022 et que la locataire a obtenu à juste titre une réduction de loyer à raison du défaut de la chose louée (température trop basse dont la quotité n’est pas contestée en soi). Le recours de la bailleresse est donc rejeté.

La locataire, de son côté, fait valoir que la cour d’appel cantonale aurait dû libérer les loyers consignés en sa faveur « pour l’intégralité de la somme réclamée au titre de remboursement du trop-perçu ». A la forme, elle soutient que sa conclusion tendant à ce que le juge lui « attribu[e] les loyers consignés en conséquence » était superflue, la consignation étant un moyen accessoire lié aux prétentions du locataire. Elle ajoute qu’en tout état de cause, le libellé de cette conclusion correspondait aux recommandations de la doctrine ; à quoi s’ajoutait qu’elle serait parfaitement explicite, considérée dans le contexte des conclusions qui la précédaient, lesquelles tendaient à faire condamner la bailleresse à restituer le trop-perçu (soit CHF 810.- par mois depuis mars 2016, jusqu’à l’entrée en force du jugement, respectivement jusqu’à la fin des contrats de bail) et à faire constater la validité de la consignation. Ce serait donc l’intégralité du trop-perçu de loyer (du 1er mars 2016 au 28 février 2022, date à laquelle le bail avait pris fin, soit un total de CHF 14’764.25) qui devrait être déduit des loyers consignés et lui être rétrocédé. Le raisonnement des juges cantonaux, lesquels ont estimé que cette conclusion recouvrait uniquement le trop-perçu des mois de février 2021 à février 2022 (durant lesquels la locataire avait consigné le loyer), soit CHF 2’812.25 seulement, violerait les art. 259g-259i CO, ainsi que les art. 58 al. 1, 221 al. 1 let. b et 317 CPC. Le sens restrictif prêté à la conclusion susdite serait insoutenable (art. 9 Cst) et constitutif d’un formalisme excessif au sens de l’art. 29 al. 1 Cst.

Le Tribunal fédéral rappelle que les conclusions circonscrivent la ou les prétentions que le demandeur réclame et sur lesquelles le tribunal doit statuer. Elles doivent exprimer clairement la prétention réclamée et la nature de l’action (condamnatoire, formatrice ou en constatation de droit). Elles doivent être formulées de telle manière que le tribunal puisse les reprendre telles quelles dans le dispositif de son jugement (ATF 137 III 617, consid. 4.3 ; TF, 07.02.2023, 4A_39/2022, consid. 4.3, TF, 14.11.2019, 4A_653/2018, consid. 6.3).

Si les conclusions ne sont pas claires, elles doivent être interprétées. Comme les actes judiciaires et autres déclarations des parties sont des manifestations de volonté faites dans le procès et sont adressées tant au juge qu’à la partie adverse, il y a lieu de les interpréter objectivement, soit selon le sens que, d’après les règles de la bonne foi, les destinataires pouvaient et devaient raisonnablement leur prêter (principe de la confiance) (ATF 105 II 149, consid. 2a ; TF, 07.02.2023, 4A_39/2022, consid. 4.3 ; 14.11.2019, 4A_653/2018, consid. 6.3 ; 22.08.2016, 4A_66/2016, consid. 4.1.2). Il faut donc rechercher le sens des déclarations de volonté unilatérales de la locataire telles qu’elles pouvaient être comprises de bonne foi en fonction de l’ensemble des circonstances, à la lumière de la motivation de l’acte. Le juge peut donc s’y reporter si les conclusions ne sont pas claires et nécessitent une interprétation (cf. ATF 149 III 224, consid. 5.2.2 in fine ; TF, 29.08.2019, 4A_428/2018, consid. 4.2.1, publié in RSPC 2020 p. 24 ; 02.12.2011, 4A_379/2011, consid. 2.6). Le principe de la confiance permet d’imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intimée (ATF 130 III 417, consid. 3.2 ; 129 III 118, consid. 2.5 ; 128 III 419, consid. 2.2). L’application du principe de la confiance est une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement (ATF 129 III 118, consid. 2.5 ; 128 III 419, consid. 2.2 ; 127 III 248, consid. 3a). L’interdiction du formalisme excessif commande, pour sa part, de ne pas se montrer trop strict dans la formulation des conclusions si, à la lecture du mémoire, on comprend clairement ce que veut le recourant (ATF 149 III 224, consid. 5.2.2 ; TF, 25.04.2019, 5A_368/2018, consid. 4.3.3 et les références).

En l’espèce, la locataire avait formulé plusieurs conclusions, l’une tendant à la condamnation de son adverse partie à lui verser le montant correspondant à une réduction de son loyer, dûment chiffrée, l’autre relative à la constatation de la validité de la consignation qu’elle avait opérée, et finalement une conclusion tendant à ce que le juge « attribu[e] les loyers consignés en conséquence ». Certes, elle n’a pas chiffré cette dernière conclusion ; l’expression « en conséquence » était donc sujette à interprétation. Cela étant, considérée à la lumière des conclusions qui la précédaient, la conclusion litigieuse ne pouvait avoir un sens aussi restrictif que celui qu’a dégagé la cour cantonale : elle devait être interprétée de bonne foi en ce sens qu’elle se rapporte à la conclusion en paiement qui la précède et englobe en conséquence l’intégralité du montant réclamé au titre de la réduction de loyer, toutes périodes confondues (soit CHF 14’764.25). Certes, la consignation du loyer a été opérée à compter de février 2021 seulement. Cela étant, la cour cantonale exagère l’incidence de cet élément de fait. Le caractère symétrique de ces deux conclusions est bien plus logique que le contraire. Contrairement à ce qui est retenu, la locataire n’a nullement modifié la conclusion querellée en appel : elle l’a tout au plus explicitée. Partant, c’est à juste titre que la locataire se plaint d’une violation du droit fédéral sur ce point.

Finalement, rien ne s’oppose à ce que les loyers consignés soient attribués à la bailleresse, respectivement à la locataire, imputation faite du trop-payé total de la locataire (puisque l’art. 259d CO lui permet de réclamer une réduction de loyer depuis le moment où elle a eu connaissance du défaut). Dans un arrêt 4C.319/2005 du 8 février 2006 (consid. 2.5), le Tribunal fédéral a reconnu que la créance du locataire en réduction du loyer pouvait être imputée dans sa totalité sur les loyers consignés. Il n’y a pas de motif de revenir sur ce principe qui, loin de susciter des critiques en doctrine, est rappelé dans – à tout le moins – un ouvrage de référence sur la question (cf. CPra Bail-Aubert, 2e éd., Bâle 2017, art. 259h-259i CO N 10). D’ailleurs, en principe, dès la consignation, le locataire ne peut plus déclarer compenser (cf. ZK-Higi/Wildisen, 5e éd., Zurich 2019, art. 259g CO N 11). Dès lors, c’est à tort que la cour d’appel cantonale a estimé que les loyers consignés devaient être attribués à la locataire à hauteur de la réduction de loyer correspondant aux seuls mois durant lesquels le loyer avait été consigné. C’est un montant total de CHF 14’764.25, avec intérêts à 5 % l’an dès le 1er février 2019 qui doit être imputé sur la somme des loyers consignés, et qui doit lui être rétrocédé. Ceci implique de réformer un deuxième point dans la foulée (lequel correspond au ch. 3 du dispositif du jugement de première instance, confirmé par la cour d’appel cantonale), puisqu’il ne saurait être question de condamner la bailleresse à verser à la locataire un montant désormais payé par la libération en faveur de celle-ci du montant correspondant consigné. Cette condamnation au paiement de la somme de CHF 14’764.25 avec intérêts n’a dès lors plus de raison d’être. Le recours de la locataire devait donc être admis.

En définitive, le dispositif de l’arrêt litigieux doit avoir la teneur suivante :

1. Constate que les deux baux commerciaux du 25 juillet 2014 liant les parties, relatifs aux locaux sis (...) à Neuchâtel, ont pris fin le 28 février 2022.

2. Ordonne la libération en faveur de la demanderesse de l’entier des avoirs en dépôt sur les comptes de garantie-loyer n° xxx et n° yyy ouverts par la locataire (demanderesse) auprès de la Banque G. à titre de sûretés.

3. Constate la validité de la consignation de loyer effectuée par la demanderesse auprès de la Banque H. sur le compte n° zzz.

4. Ordonne, à hauteur de CHF 14’764.25, avec intérêt à 5 % l’an dès le 1er février 2019, la libération en faveur de la locataire (demanderesse) des loyers consignés auprès de la Banque H. sur le compte n° zzz, ainsi que la libération du solde en faveur de la bailleresse (défenderesse).

5. Rejette toutes autres ou plus amples conclusions, conclusions reconventionnelles comprises, dans la mesure de leur recevabilité.

III. Analyse

La présente affaire porte sur la précision des conclusions en libération des loyers consignés suite à un défaut de la chose louée. En l’espèce, la locataire voulait obtenir une réduction de loyer de 20 % entre le 1er mars 2016 et l’élimination des défauts, la restitution du trop-perçu corrélatif, la validation de la consignation des loyers et l’attribution, en conséquence, des loyers consignés. Il convient de préciser à cet égard que la locataire n’a consigné les loyers que de février 2021 à février 2022 (date pour laquelle elle a résilié le contrat), alors que l’existence de défauts menant à une réduction de loyer a été admise par les juges entre mars 2016 et février 2022. Relevant que la locataire n’avait pas chiffré, en première instance, le montant des loyers consignés dont elle réclamait la restitution ni indiqué à quoi ce montant devait correspondre, se bornant à conclure que les loyers consignés soient attribués « en conséquence », les juges cantonaux ont considéré que le montant de la déconsignation ne pouvait porter que sur la période où les loyers avaient été consignés. Sur le total de CHF 14’764.25 dû à titre de trop-perçu, seuls CHF 2’812.25 devaient être libérés sur les loyers consignés. La cour cantonale a estimé que la conclusion de la locataire était floue et que ni le premier juge, ni la partie bailleresse, ne pouvaient comprendre que la libération des loyers consignés était réclamée à hauteur de la totalité du trop-perçu de loyer et non pour la seule période où les loyers avaient été consignés.

Certes, les conclusions doivent être formulées de telle manière que le tribunal puisse les reprendre telles quelles dans son dispositif. En l’occurrence, la locataire avait conclu à l’attribution des loyers consignés « en conséquence ». Il est évident que le juge ne pouvait pas reprendre strictement cette formulation et devait chiffrer le montant de la déconsignation en faveur de la locataire, par le biais de l’interprétation de la conclusion prise, selon le principe de la confiance (TF, 07.02.2023, 4A_39/2022, consid. 4.3 ; TF, 14.11.2019, 4A_653/2018, consid. 6.3 ; TF, 22.08.2016, 4A_66/2016, consid. 4.1.2) : peu importe dès lors la volonté interne du demandeur, c’est le sens objectif de sa déclaration qui sera déterminant (ATF 144 III 93, consid. 5.2.3). Le juge doit par ailleurs tenir compte de l’interdiction du formalisme excessif (art. 29 al. 1 Cst.) qui suppose de ne pas se montrer trop rigoureux dans la formulation des conclusions si on comprend clairement ce que veut la partie à la lecture de son mémoire (ATF 149 III 224, consid. 5.2.2). Comme la locataire avait chiffré le montant de la réduction de loyer réclamée et le montant du trop-perçu à rembourser, l’interprétation de la formulation « en conséquence » ne pouvait que se rapporter à la conclusion en restitution du trop-perçu qui la précédait, peu importe qu’entre les deux conclusions la locataire ait conclu au constat de la validité de la consignation. A l’instar du Tribunal fédéral, il faut considérer qu’il est logique de conclure d’abord à la validation de la consignation, avant de demander la libération des loyers consignés. Cela ne signifie pas pour autant que dite libération ne concerne que la période de consignation. Notre haute cour se réfère à un arrêt non publié 4C.319/2005 rendu le 8 février 2006 dans lequel elle a reconnu que la créance en réduction de loyer pouvait être imputée dans sa totalité sur les loyers consignés, principe qui a été repris par la doctrine dans un ouvrage que le TF qualifie de « référence » (CPra Bail-Aubert, op. cit., art. 259h-259i CO N 10). Ainsi, les loyers peuvent être déconsignés à concurrence de la totalité de la réduction de loyer qui est accordée.

Bien que, dans cet arrêt, le Tribunal fédéral ait interprété la formulation selon laquelle les loyers devaient être déconsignés « en conséquence » comme visant l’entier de la créance en restitution du trop-perçu, on doit recommander aux plaideurs, par prudence, de chiffrer leur prétention en déconsignation des loyers ou, à tout le moins, de préciser que la déconsignation est requise pour la totalité de la réduction de loyer demandée. Il faut selon nous différencier le cas où le montant des loyers consignés suffit à désintéresser le locataire pour le trop-versé à titre de loyer, en tenant compte de l’intérêt de 5 % l’an qui court sur la créance, de la situation où le montant consigné ne suffit pas, une conclusion supplémentaire, en restitution du trop-perçu, devant être prise. En l’occurrence, comme le relève le Tribunal fédéral, la conclusion en restitution du trop-perçu n’avait plus d’intérêt puisque la libération des loyers consignés couvrait totalement la créance en réduction du locataire (« il ne saurait être question de condamner la bailleresse à verser à la locataire un montant désormais payé par la libération en faveur de celle-ci du montant correspondant consigné »).

Dès lors, si la totalité du montant de la réduction de loyer, augmentée des intérêts, peut être imputée sur le montant des loyers consignés, le locataire peut se contenter de formuler les conclusions suivantes :

I. Accorder à [locataire] une réduction de loyer net de […] % dès le [date] jusqu’à l’élimination totale du défaut.

II. Constater la validité de la consignation de loyer effectuée par [locataire] auprès de la Banque […] sur le compte n° […].

III. Ordonner la libération en faveur de [locataire] des loyers consignés auprès de la Banque […] sur le compte n° […], à hauteur de [montant], avec intérêt à 5 % l’an dès le [date].

ou, si le montant ne peut pas être chiffré, parce que le défaut perdure :

III. Ordonner la libération en faveur de [locataire] des loyers consignés auprès de la Banque […] sur le compte n° […], à concurrence de la réduction totale de loyer allouée sous chiffre I ci-dessus, avec intérêt à 5 % l’an dès le [date].

Lorsque le montant des loyers consignés, augmenté des intérêts, ne suffit pas à couvrir la créance en réduction de loyer, le locataire doit prendre une conclusion supplémentaire en restitution du trop-versé, par exemple :

I. Accorder à [locataire] une réduction de loyer net de […] % dès le [date] jusqu’à l’élimination totale du défaut.

II. Condamner [bailleur] à verser à [locataire] le montant de […], avec intérêt à 5 % l’an dès le [date], à titre de restitution du trop-perçu, sous déduction du montant de la déconsignation alloué sous ch. IV ci-dessous.

III. Constater la validité de la consignation de loyer effectuée par [locataire] auprès de la Banque […] sur le compte n° […].

IV. Ordonner la libération en faveur de [locataire] de la totalité des loyers consignés auprès de la Banque […] sur le compte n° […].

Notons encore que le dispositif rendu par le Tribunal fédéral dans cette affaire semble comporter une lacune, en ce qu’il ne mentionne pas la réduction de loyer, qui fonde pourtant la prétention en paiement de CHF 14’764.25. Cette lacune pourrait être comblée par une demande de rectification au sens de l’art. 129 al. 1 LTF.

Défaut

Défaut

Procédure

Procédure