TF 1C_110/2017 du 29 mai 2018

Loyer; droit public; contrôle étatique des loyers en cas de rénovation d’une habitation; compatibilité de la règle cantonale avec le droit fédéral; respect de la liberté économique et de la garantie de propriété sous l’angle de la restriction des droits fondamentaux; art. 269 CO; 8, 26, 27, 36, 49 Cst.; 1, 4 LDTR/VD

La loi vaudoise soumet à autorisation la rénovation totale ou partielle de maisons d’habitations sises dans les communes où sévit la pénurie de logements ; l’autorisation est accordée lorsque la rénovation apparaît indispensable pour des motifs de sécurité, de salubrité ou d’intérêt général ; le département cantonal compétent peut alors subordonner l’octroi de l’autorisation à certaines conditions, notamment contrôler pendant dix ans les loyers des logements des immeubles rénovés afin d’éviter les augmentations qui iraient à l’encontre du but visé par la loi (consid. 2) ; la jurisprudence retient qu’il est interdit aux cantons d’intervenir dans les rapports directs entre les parties au contrat de bail, réglés exhaustivement par le droit fédéral, mais que les cantons demeurent cependant libres d’édicter des mesures destinées à combattre la pénurie sur le marché locatif, par exemple en soumettant à autorisation la démolition, la transformation et la rénovation de maisons d’habitation ; le Tribunal fédéral a rappelé à de multiples reprises que les dispositions cantonales qui soumettent à une autorisation les aliénations de logements offerts à la location ou imposent un contrôle des loyers ne sont en principe pas contraires aux règles du droit civil fédéral qui régissent les rapports entre bailleurs et locataires ; malgré les critiques de certains auteurs de doctrine, il n’y a pas lieu de modifier cette jurisprudence (consid. 3.1).

L’art. 269 CO tend à assurer que la partie bailleresse ne retire pas un rendement excessif de la chose louée ; il autorise certes un rendement maximal au bailleur mais n’est pas destiné à garantir ce rendement maximal ; le fait que le bailleur ne puisse en principe pas s’en prévaloir pour augmenter le loyer en cours de bail en est l’illustration ; si on devait admettre que le rendement maximal (imposable au locataire) serait également le rendement minimal (auquel pourrait prétendre le propriétaire), cela conduirait à fixer un rendement déterminé, c’est-à-dire un loyer précis, ce qui est par essence contraire à la liberté contractuelle dans laquelle s’inscrit le droit du bail ; par conséquent, lorsqu’un propriétaire ne peut pas obtenir un rendement qui aurait été jugé acceptable par le droit du bail, cela ne signifie pas que le droit fédéral est violé, ni même contourné (consid. 3.2).

La garantie de la propriété et la liberté économique ne sont pas absolues et peuvent être restreintes aux conditions fixées à l’art. 36 Cst. ; la restriction doit notamment reposer sur une base légale ; en l’espèce, la restriction aux droits fondamentaux de la bailleresse est prévue dans une base légale au sens formel, l’art. 4 al. 3 LDTR, qui prévoit que le département peut contrôler pendant dix ans les loyers des logements des immeubles rénovés pour éviter des augmentations qui iraient à l’encontre du but visé par la loi ; certes, ni la loi ni le règlement d’application ne donnent d’indication supplémentaire sur la manière de calculer les loyers qui seront fixés ; vu toutefois le caractère hautement technique du calcul du loyer, il est admissible que seul le principe d’un contrôle limité dans le temps soit arrêté dans la loi au sens formel, les modalités de fixation n’étant adoptées qu’en la forme de directives rendues accessibles à la propriétaire ; la mesure de contrôle des loyers repose ainsi en l’espèce sur une base légale suffisante (consid. 4.1) ; toute restriction d’un droit fondamental doit par ailleurs être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui ; tel est le cas en l’espèce, la loi vaudoise ne visant que les travaux apportant une plus-value aux logements, les travaux d’entretien n’étant pas visés ; s’agissant du risque de freiner le rythme et l’intensité des rénovations apportant plus-value et amélioration du confort de logements existants, il s’agit d’un choix du législateur cantonal qui n’est pas en contradiction avec un intérêt public contraire consacré légalement ; cette décision étant politique, il n’existe aucun motif de la sanctionner sur le plan juridique ; il est ainsi manifeste que l’intérêt public à la préservation d’un parc locatif répondant aux besoins de la population est légitime et justifie l’atteinte aux garanties constitutionnelles de la propriété et de la liberté économique (consid. 4.2) ; quant au principe de la proportionnalité, il exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive ; il exige en outre un rapport raisonnable entre le but visé et les intérêts publics ou privés compromis ; en l’occurrence, les règles du droit fédéral sur l’interdiction du rendement excessif ne contribuent pas à la réalisation de l’intérêt public au maintien d’un parc locatif répondant aux besoins de la population, la mesure de contrôle des loyers se révélant nécessaire pour atteindre cet objectif ; en outre, la mesure ne prend en l’espèce effet que sur cinq années et elle n’impose pas à la bailleresse une perte, les montants investis dans les travaux lui procurant un rendement suffisant par l’augmentation de loyer que ceux-ci impliquent (consid. 4.3) ; pour terminer, le principe d’égalité de traitement signifie qu’une décision ne peut pas établir des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’elle ne doit pas omettre de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances ; en l’occurrence, ce principe n’est pas violé s’agissant d’un propriétaire qui entreprendrait des travaux et d’un propriétaire qui n’entreprendrait pas de travaux et qui pourrait dès lors augmenter le loyer dans les limites de l’art. 269 CO lors du changement de locataire ; en effet, la loi vise à préserver un certain type de parc locatif et il convient de cibler les opérations par lesquelles la nature des objets de ce parc locatif est amenée à changer (consid. 5).

Loyer

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Droit public

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