Analyse de l'arrêt TF 4A_32/2024
14 novembre 2024
La date de réception du congé en cas d’envoi anticipé par fax
I. Objet de l’arrêt
Le Tribunal fédéral examine dans l’arrêt 4A_32/2024 à quelle date une résiliation du contrat de bail est considérée comme reçue lorsqu’une copie de la résiliation est envoyée par fax et que la version originale de la résiliation est envoyée par courrier et réceptionnée deux jours plus tard.
II. Résumé de l’arrêt
A. Les faits
Par contrat du 12 février 2007, Da. AG (bailleresse) a remis à bail à B. et C. (locataires, défendeurs et intimés) une maison familiale et un centre équestre à U. Un litige est survenu au sujet du respect du délai de résiliation du contrat de bail par les locataires.
Le 2 janvier 2015, Da. AG a fusionné avec Db. AG ainsi que de Dc. AG. La société Dc. AG a repris les actifs et les passifs des deux premières sociétés. Le 21 avril 2017, la raison sociale de Dc. AG a été rebaptisée Db. AG. Le 3 février 2023, la raison sociale de Db. AG est devenue F. SA.
Le 20 août 2015, Dc. AG a cédé ses prétendues créances de loyers envers les défendeurs à la société A. GmbH (demanderesse, recourante).
Le 8 juin 2018, la demanderesse a ouvert action devant le tribunal de district de Zurzach contre les défendeurs visant à les condamner, solidairement, au paiement de CHF 51’000.- plus intérêts. Par décision du 7 juillet 2020, le tribunal a rejeté l’action.
Saisi d’un appel, l’Obergericht du canton d’Argovie l’a admis et renvoyé la cause au tribunal de district de Zurzach pour nouvelle décision.
Par décision du 23 février 2023, le tribunal de district de Zurzach a admis partiellement la demande. Il a condamné la défenderesse 1 à payer à la demanderesse CHF 25’500.- (loyers pour le trimestre du 1er octobre au 31 décembre 2012). Il a également obligé les défendeurs à verser à la demanderesse CHF 25’500.- (loyers pour le trimestre du 1er janvier au 31 mars 2013). Il a rejeté le recours pour le reste.
L’Obergericht du canton d’Argovie a admis l’appel formé par les défendeurs contre cette décision. Il a considéré que les défendeurs avaient valablement résilié le contrat de bail pour fin septembre 2012, de sorte que ceux-ci ne devaient pas de loyers pour la période d’octobre 2012 à mars 2013.
La demanderesse a déposé un recours contre cette décision devant le Tribunal fédéral.
B. Le droit
Selon l’art. 266l al. 1 CO, le congé des baux d’habitations et de locaux commerciaux doit être donné par écrit. Il s’agit de la forme écrite simple : le courrier de résiliation doit ainsi être signé à la main par le locataire ou son représentant (consid. 5.1.1).
La résiliation est une manifestation de volonté soumise à réception. Elle déploie ses effets lorsqu’elle parvient dans la sphère d’influence du destinataire, de sorte que celui-ci peut en prendre connaissance dans le cadre d’une activité commerciale normale (théorie de la réception absolue) (consid. 5.1.2).
Dans le cas présent, l’instance précédente a considéré comme établi, en fait, que les locataires ont transmis à la bailleresse la résiliation du contrat de bail (signée et datée du 30 mars 2012) par fax le 31 mars 2012 à 09h16. Le même jour, à 10h32, ils ont envoyé l’original du courrier de résiliation par la poste. Celui-ci a été notifié à la bailleresse le 2 avril 2012. Suivant l’opinion de Gauch/Schluep/ Schmid/Emmenegger, elle a retenu que, dans un tel cas de figure, le destinataire prend connaissance de la résiliation lors de la réception du fax, et que l’exigence de la forme écrite est remplie avec la réception du courrier original envoyé par la poste (Gauch/Schluep/Schmid/Emmenegger, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, Bd. I, 11e éd., Zurich 2020, p. 104 s., N 519). Le délai de résiliation commence donc à courir dès réception du fax (et ce même s’il existe une incertitude quant à l’expéditeur du fax). Dans ces circonstances, l’instance précédente a retenu que le bail avait pris fin le 30 septembre 2012, de sorte que les loyers pour les mois d’octobre 2012 à mars 2013 n’étaient pas dus.
Le Tribunal fédéral expose que, lorsqu’une déclaration de volonté n’est pas faite par un document papier original au sens traditionnel du terme, il convient de se demander si l’exigence de la forme écrite simple au sens de l’art. 13 CO est respectée (consid. 5.4.1).
De jurisprudence constante, dans le domaine de la procédure, la transmission d’un acte signé par fax ne satisfait pas à l’exigence de la forme écrite (ATF 121 II 252, consid. 3 ; 112 Ia 173, consid. 1 ; TF, 05.01.2021 ; 09.12.2015, 4A_596/2015 ; 28.11.2007, 9C_739/2007, consid. 1.1 s.). En matière de poursuites, une opposition peut être formulée par fax, étant toutefois précisé que l’art. 74 al. 1 LP permet également de faire opposition par oral (ATF 127 III 181 consid. 4b) (consid. 5.4.2).
Une partie de la doctrine relative à la partie générale du CO estime, notamment dans le domaine des négociations contractuelles, que la transmission par fax devrait être considérée comme conforme à l’art. 13 CO (BSK OR I-Schwenzer/Fountoulakis, 7e éd., Bâle 2020, art. 13 CO N 14b ; Gauch/Schluep/ Schmid/Emmenegger, op. cit., p. 104, N 518 ; KUKO OR-Wiegand/Hurni, Bâle 2014, art. 13 CO N 10 ; Koller, Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, Bd. I, 5e éd., Berne 2023, p. 168, N 12.47 ; CR CO I-Xoudis, 3e éd, Bâle 2021, art. 13 CO N 18 ; comp. Gericke/Ivanovic, Genügen PFD-Dateien dem Schriftformerfordernis ?, RSJ 113/2017 p. 336 ; comp. également les remarques de BK OR-Müller, Berne 2018, art. 13 N 100 et nbp 155) (consid. 5.4.3).
Dans le cas présent, il s’agit uniquement de savoir si une résiliation envoyée par fax remplit les exigences de la forme écrite. La majorité de la doctrine considère que tel n’est pas le cas. Oeschger estime en particulier qu’une telle résiliation est invalide, car la signature (originale) du locataire fait défaut (Oeschger, in : Mieterinnen- und Mieterverband Deutschschweiz [édit.], Mietrecht für die Praxis, 10e éd., Zurich 2022, p. 762 N 25.5). Blumer considère également qu’un fax n’est pas admissible en raison du risque de falsification (KUKO OR-Blumer, Bâle 2014, art. 266l-266o CO N 2 ; voir également ZK OR-Higi/Wildisen, 5e éd., Zurich 2020, art. 266l CO N 10 ; CR CO I-Lachat/Bohnet, 3e éd, Bâle 2021, art. 266l CO N 2a). Higi/Wildisen argumentent que les développements de la doctrine en lien avec la forme écrite pour la conclusion des contrats ne peuvent pas être repris en matière de résiliation, car celle-ci nécessite d’être claire (ZK OR-Higi/Wildisen, op. cit., art. 266l CO N 11). Müller est en revanche d’avis que la résiliation donnée par fax est valide, pour autant qu’elle contienne la signature du locataire et que l’original soit ensuite transmis au bailleur (SVITK-Müller, 4e éd., Zurich 2018, art. 266l-266o CO N 8 ; voir également Lachat, Le bail à loyer, Lausanne 2019, p. 827) (consid. 5.4.4).
Le Tribunal fédéral rejoint la doctrine majoritaire et retient qu’en matière de droit du bail, l’envoi du courrier de résiliation signé par fax n’est pas conforme à la forme écrite. Le fax ne permet d’avoir qu’une copie du document original. Ainsi, la signature est une copie et n’est pas manuscrite au sens de l’art. 14 al. 1 CO (cf. ATF 140 III 54, consid. 2.3). La majorité de la doctrine relative à l’art. 266l CO indique à juste titre que, notamment en raison du risque important de falsification, les résiliations par fax ne doivent pas être qualifiées de formellement valables. La doctrine sur le droit du bail souligne en outre que les résiliations doivent être claires. Cela présuppose non seulement qu’elles puissent être attribuées sans équivoque à leurs auteurs, mais aussi que les longues discussions sur la réception de la résiliation doivent être évitées autant que possible. Or la bonne réception d’un fax est souvent incertaine (consid. 5.4.5).
Dès lors qu’un courrier de résiliation transmis par fax n’est pas valable en la forme, il convient de retenir qu’une telle résiliation ne fait pas partir le délai de résiliation. Le courant doctrinal qui retient le contraire (Gauch/Schluep/Schmid/Emmenegger, op. cit., p. 104, N 519 ; voir aussi SVITK-Müller, op. cit., art. 266l-266o CO N 8) ne convainc pas : le destinataire doit pouvoir s’assurer que la lettre reçue par fax émane effectivement de la personne mentionnée comme étant celle qui a donné le congé. Cela présuppose nécessairement que la lettre de résiliation en bonne et due forme parvienne au bailleur dans les délais, afin que celui-ci puisse vérifier à temps l’authenticité de la lettre de résiliation et entreprendre les démarches nécessaires (consid. 5.4.6).
En résumé, dans le cas présent, la résiliation n’a été effectuée ni en bonne et due forme ni dans les délais (consid. 5.4.6).
Le Tribunal fédéral examine dans un deuxième temps si la recourante, en invoquant que les locataires et intimés n’ont pas valablement résilié le contrat de bail dans les délais, commet un abus de droit (consid. 5.5). Après avoir rappelé les principes relatifs à l’abus de droit (consid. 5.5.2), le Tribunal fédéral retient que rien n’indique que la bailleresse aurait accepté ou souhaité une résiliation par fax. Le seul fait que celle-ci insiste sur la condition de forme prévue par la loi et également convenue contractuellement pour la résiliation ne signifie pas qu’elle commette un abus de droit (consid. 5.5.3).
En résumé, le congé n’a pas été donné dans les délais. Par ailleurs, il n’est pas contesté que les intimés n’ont pas proposé de nouveau locataire raisonnablement exigible selon l’art. 264 CO. Par conséquent, l’intimée 1 doit à la recourante CHF 25’500.- pour les loyers des mois d’octobre à décembre 2012. En outre, les intimés doivent solidairement à la recourante CHF 25’500.- pour les loyers des mois de janvier à mars 2013 (consid. 5.5.4).
III. Analyse
La forme écrite, régie par les art. 12 ss CO, implique que l’original comporte la signature manuscrite de l’auteur (art. 14 al. 1 CO). Cette exigence répond au besoin de pouvoir attribuer une déclaration à une personne clairement identifiable (ATF 138 III 401, consid. 2.4.2 ; ATF 140 III 54, consid. 2.3). Si le Tribunal fédéral laisse ouverte la question de savoir si une transmission par fax devrait être considérée comme conforme à l’art. 13 CO, il retient à raison que tel n’est pas le cas pour la résiliation d’un contrat de bail, que l’art. 266l al. 1 CO soumet expressément à la forme écrite. Avec la disparition programmée du fax, cette jurisprudence – dont la solution convainc – semble a priori de faible portée. Mais si les échanges par fax se font rares aujourd’hui, en revanche les communications entre gérances et locataires par e-mail, voire WhatsApp, sont devenues fréquentes. Un e-mail ou un envoi par messagerie ne comporte en principe pas même une signature reproduite. Nul doute dès lors que ces modes de communications ne remplissent pas la forme écrite. Comme le Tribunal fédéral le retient pour le fax, ils ne peuvent pas non plus fixer la date de la communication lorsque le courriel ou le message comprennent en annexe une version scannée du courrier envoyé par écrit, ni prouver la date de l’envoi du pli signé (cf. toutefois BSK OR I-Schwenzer/Fountoulakis, op. cit., art. 13 CO N 14c ; CR CO I-Xoudis, op. cit., art. 13 CO N 18 ; KUKO OR-Wiegand/Hurni, op. cit., art. 13 CO N 10, qui admettent qu’un e-mail avec un scan du document original signé en pièce jointe [au format PDF ou image] est conforme à la forme écrite ; cf. ég. Carron/Wessner, Droit des obligations – Partie générale, Vol. II : la formation du contrat – les conditions générales d’affaires – l’interprétation du contrat – l’exécution, Berne 2024, n. 2500 ss). Il ne peut pas non plus être retenu que le destinataire commet un abus de droit en se prévalant de la date de réception du pli signé alors que des échanges seraient intervenus entre les parties pour régler diverses questions relatives au bail. La résiliation est un acte d’une portée spécifique qui doit respecter une certaine forme de par la loi. Admettre que la communication est chose faite en cas d’envoi par e-mail ou message d’une copie de la résiliation signée reviendrait par ailleurs à remettre en cause la protection offerte au destinataire par l’envoi postal, en particulier lorsqu’il est effectué par pli recommandé.
A noter que, dans le cas présent, l’abus de droit de la part du bailleur a été nié. Il aurait pu en aller différemment si ce dernier avait accepté la résiliation par fax (par exemple en accusant réception de la résiliation par fax et en confirmant que le contrat prendrait fin au 30 septembre 2012). Dans un tel cas de figure, le bailleur n’aurait certainement pas pu se prévaloir de la non-validité de la résiliation sans commettre un abus de droit.