Analyse de l'arrêt TF 4A_158/2024
16 janvier 2025
Le bail à l’épreuve de la pandémie COVID-19
I. Objet de l’arrêt
Le Tribunal fédéral se penche, pour la première fois, sur des prétentions soulevées par une locataire à l’encontre de sa bailleresse, en lien avec les restrictions étatiques ordonnées pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Au centre de l’examen se trouve la question de l’application de la clausula rebus sic stantibus.
II. Résumé de l’arrêt
A. Les faits
En septembre 2013, A. SA (locataire) a loué à C. SA (bailleresse) des locaux à destination d’un hôtel dans le canton de Zurich. Le bail a été modifié à plusieurs reprises, les parties se sont accordées, en dernier lieu, sur une durée minimale allant jusqu’au 31 décembre 2037. Au chiffre 11.1 du contrat de bail, il est prévu que les aménagements et l’inventaire deviendront la propriété de la bailleresse, à la date de la restitution des locaux ou à la date de résiliation du contrat de bail, ce sans indemnité (« mit dem Tage des Auszuges oder dem Tage der Mietvertragsbeendigung entschädigungslos ins Eigentum »).
A. SA a exploité dans les locaux un hôtel sous la forme d’une franchise.
Par lettre du 12 novembre 2020, la bailleresse a résilié le bail de manière anticipée au 28 février 2021, pour défaut de paiement. La résiliation n’a pas été contestée et son efficacité a été discutée, par la locataire, seulement à l’appui de sa réplique introduite, en mars 2023, dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt examiné.
Le 1er mars 2021, A. SA a restitué les locaux à la bailleresse, y laissant ses aménagements ainsi que son inventaire.
Par action partielle du 4 octobre 2021, fondée sur l’article 86 CPC, A. SA a demandé au Tribunal de Commerce du canton de Zurich de condamner la bailleresse à lui verser la somme de CHF 1’159’837.58, intérêts en sus. En raison du changement des circonstances ensuite de la pandémie de COVID-19, la locataire a fait valoir une réduction de loyer ou une demande de remboursement de loyers payés en trop. En outre, à cause de la fin prématurée du bail, elle a exigé une indemnisation pour la valeur résiduelle ou matérielle des aménagements et de l’inventaire laissés dans les locaux. Dans sa réplique, elle a également adapté la motivation de sa demande, en ce sens qu’elle réclamait le montant précité, à titre de dommages-intérêts en raison de la privation ou disparition de l’entreprise hôtelière, « Entziehung resp. Zerstörung des Hotelunternehmens ».
Par jugement du 7 février 2024, le Tribunal de commerce a rejeté la demande. Il a d’abord considéré que la résiliation était parfaitement efficace, de sorte que le contrat de bail avait pris fin au mois de février 2021. En effet, le sursis au sens de l’art. 11 al. 1 de l’Ordonnance du 16 avril 2020 instaurant des mesures en cas d’insolvabilité pour surmonter la crise du coronavirus (Ordonnance COVID-19 insolvabilité) concernait les créances nées avant l’octroi du sursis. En revanche, les créances nées après (ou pendant) le sursis ne sont pas concernées. Le sursis n’a pas non plus pour effet de reporter l’exigibilité matérielle d’une créance. Or, la créance de loyer pour le mois d’août 2020 était exigible au moment de la menace de résiliation du 11 août 2020.
Il a ensuite estimé qu’il n’y avait pas de droit à une réduction de loyer, la doctrine et la jurisprudence rejetant majoritairement l’opinion selon laquelle une mesure ordonnée par les autorités ensuite de la pandémie constituait un défaut de la chose louée. Par ailleurs, l’instance cantonale a tranché que les conditions de la clausula rebus sic stantibus n’étaient pas remplies. Le Tribunal a ainsi retenu que la locataire doit supporter seule le risque de son activité et donc les conséquences de la pandémie sur l’exploitation de l’hôtel.
Enfin, il a été considéré qu’il n’existait pas de base pour une demande d’indemnisation ou de dommages-intérêts formulée par la locataire, en lien avec le transfert des aménagements et de l’inventaire à la bailleresse.
La locataire querelle ce jugement par-devant le Tribunal fédéral.
B. Le droit
Face au défaut de motivation de la contestation de l’état de fait, la locataire s’étant contentée de décrire librement les faits sans démontrer clairement en quoi ceux retenus par l’instance cantonale seraient manifestement inexacts ou arbitraires, ni que la correction du vice eut été susceptible d’influer sur le sort de la cause, seuls les faits décrits par l’instance précédente sont déterminants.
Le Tribunal fédéral examine d’abord la violation du droit d’être entendu invoquée par la recourante, pour la balayer, faute de démonstration de la pertinence du grief.
Est ensuite examiné le reproche formulé à l’instance précédente d’avoir renoncé à une adaptation judiciaire du contrat sur la base de la clausula rebus sic stantibus.
Le Tribunal fédéral rappelle que les contrats doivent être exécutés tels qu’ils ont été convenus selon le principe « pacta sunt servanda ». Toutefois, selon la clausula rebus sic stantibus, une adaptation judiciaire est possible, même contre la volonté d’une partie, si les circonstances se modifient si fondamentalement après la conclusion du contrat qu’il en résulte une grave atteinte de l’équilibre contractuel (ATF 135 III 1, consid. 2.4 ; 138 V 366, consid. 5.1 ; 127 III 300, consid. 5b).
La condition pour une adaptation judiciaire du contrat consiste en ce que la modification du rapport n’était ni prévisible ni évitable lors de la conclusion de ce contrat (ATF 135 III 1, consid. 2.4 ; 127 III 300, consid. 5b ).
La délimitation entre une atteinte acceptable à l’équilibre contractuel et atteinte grave suppose en outre une appréciation de toutes les circonstances déterminantes du cas d’espèce (Enz, Risikozuordnung in Verträgen und die COVID-19 Situation: Teil 1, Jusletter 18. Mai 2020, N 19 ; ATF 100 II 345, consid. 2b).
Le Tribunal fédéral estime que l’instance précédente a procédé à une telle appréciation et a justifié pourquoi, de son point de vue, il n’y avait pas d’atteinte grave.
En effet, l’instance inférieure a jugé qu’il ne fallait pas considérer, en tant que telle, la situation économique en 2020, ni tous les reports de pertes des années précédentes. Le seul élément déterminant résidait dans le fait de savoir si les restrictions dues à la pandémie ont entraîné une grave atteinte de l’équilibre contractuel à partir de mars 2020.
Pour ce faire, il a été tenu compte de l’indemnité étatique reçue pour cas de rigueur de CHF 635’869.‑, laquelle doit être attribuée à l’année 2020, même si le versement n’a eu lieu qu’en mars 2021.
La comptabilité de la locataire a également été examinée. Le compte de résultat de la recourante fait état pour l’année 2020 d’un chiffre d’affaires ou d’un produit net d’exploitation de CHF 794’822.70, ce qui correspond certes à un recul de CHF 2’363’656.60 par rapport à l’année précédente. Toutefois, si l’on considère la réduction des charges d’exploitation de CHF 3’152’526.51 en 2019 à CHF 1’610’013.98 en 2020, ce recul est déjà considérablement relativisé. En tenant compte de l’indemnité pour cas de rigueur et de la contribution de solidarité d’un montant total de CHF 665’869.-, ainsi que de la perte de CHF 297’753.04.- due à la cessation (définitive) de l’exploitation de l’hôtel à fin février 2021, il en découle une perte annuelle de CHF 449’359.12. Comparée à la perte de CHF 43’481.77 de l’année précédente, il en résulte une différence de CHF 405’877.35.
Le Tribunal fédéral a également souligné que l’instance précédente a pris en compte dans ses réflexions la durée initialement prévue, respectivement la durée effective du bail et, à juste titre, mis en balance la période pendant laquelle la modification des circonstances a temporairement provoqué un déséquilibre entre la prestation et la contre-prestation avec la période pendant laquelle il n’y avait pas de déséquilibre. L’objection de la recourante selon laquelle il n’était pas possible de savoir à l’époque combien de temps la pandémie durerait ne change rien, d’autant plus que l’on ne pouvait pas raisonnablement partir du principe que les restrictions massives se poursuivraient sans changement pendant plusieurs années. Il a ainsi été tenu compte du fait que la période litigieuse de mars 2020 à février 2021 n’a concerné qu’une fraction de la durée effective du bail de 90 mois ou de la durée initialement prévue de 292 mois.
Le Tribunal fédéral admet que la plaignante n’aurait certes pas conclu le contrat de location aux conditions convenues si celui-ci n’avait été négocié qu’en mars 2020. Une adaptation judiciaire ultérieure du contrat est toutefois réservée à des cas exceptionnels. La locataire n’aurait pas dû s’attendre aux restrictions de voyage imposées par l’Etat lors de la conclusion du contrat mais aux fluctuations importantes des nuitées qui ne sont pas inhabituelles dans le secteur hôtelier et font partie du risque commercial général. Ce risque doit être pris en compte lors de l’évaluation de l’ampleur de l’atteinte à l’équilibre du contrat.
En résumé, la recourante n’a pas réussi à prouver une grave atteinte de l’équilibre due à la pandémie, d’autant plus qu’elle est elle-même responsable de la résiliation ou de l’arrêt de l’exploitation de l’hôtel à fin février 2021 et des dépenses extraordinaires de CHF 297’753.04 qui en découlent. L’atteinte (seulement temporaire) de l’équilibre demeurait donc encore dans le cadre du raisonnable.
La recourante s’est ensuite plainte d’une violation de l’art. 253 CO et du principe de la bonne foi (art. 2 CC). L’instance précédente se serait, selon elle, limitée exclusivement à l’interprétation contractuelle du bail conclu en 2009, en occultant ses trois avenants. L’omission arbitraire de ces trois avenants aurait facilité la tâche de l’instance inférieure pour mieux nier l’application de la clausula rebus sic stantibus.
La recourante se réfère, selon ses propres dires, au considérant 3.3.2 de l’arrêt de première instance. Ce considérant fait suite à celui selon lequel un défaut peut survenir à la suite de mesures ordonnées par les autorités, lorsque les parties ont conclu un accord par lequel le but commercial a été intégré au contrat et que la bailleresse a ainsi assumé le risque contractuel. Ensuite, dans les considérants 3.3.2 et suivants, l’instance précédente interprète le contrat de bail et arrive finalement à la conclusion que l’intimée n’a pas voulu garantir à la recourante l’utilisation durable de l’objet loué comme établissement hôtelier ni lui assurer la réalisation d’un chiffre d’affaires déterminé. Les explications de l’instance précédente concernent donc la question de la réduction du loyer en raison d’un défaut et non l’application de la clausula rebus sic stantibus.
En conséquence, le Tribunal ne saisit pas ce que la recourante entend lorsqu’elle affirme que « [l]’occultation arbitraire des trois avenants lors de l’interprétation du contrat de bail a facilité la tâche de l’instance précédente [...] pour mieux pouvoir nier l’application de la clausula [...] ».
Contrairement à la recourante, l’instance précédente n’a justement pas exigé, dans le cadre de l’examen des conditions de la clausula rebus sic stantibus, l’existence d’une clause contractuelle répartissant différemment le risque entrepreneurial en cas de pandémie.
Ainsi, son grief de l’absence de prise en compte des trois avenants au contrat de bail apparait erroné.
D’ailleurs, l’instance précédente s’est bien penchée sur ces avenants. Elle a écarté l’argument de la recourante selon lequel une obligation de l’intimée de remettre le loyer pouvait être déduite du comportement des parties dans le passé (concrètement, la conclusion des avenants 1 à 3 au contrat de bail). La recourante n’aborde pas suffisamment ce point dans son recours. Elle ne montre notamment pas de quelles clauses des avenants il faudrait, selon elle, déduire une telle obligation.
En résumé, il n’y a pas lieu de critiquer le fait que l’instance inférieure ait nié l’existence d’une grave perturbation de l’équivalence résultant des restrictions liées à la pandémie et, partant, d’une condition d’application de la clausula rebus sic stantibus.
Enfin, le Tribunal se penche sur le reproche de la recourante adressé à l’instance précédente de lui avoir refusé une indemnisation pour les aménagements locatifs et l’inventaire qui ont été transférés à l’intimée.
La recourante se plaint d’abord d’une violation de l’art. 257d CO en relation avec la résiliation du 12 novembre 2020 mais ne parvient pas, selon le Tribunal fédéral, à démontrer que l’instance précédente a violé le droit fédéral en admettant l’efficacité de la résiliation au sens de cette disposition.
La bailleresse peut, en effet, renoncer à l’exercice de son droit de résiliation extraordinaire et demander uniquement le paiement des loyers impayés. Une telle renonciation peut également résulter d’un comportement implicite, par exemple en attendant longuement avant de résilier le bail malgré la réception des loyers impayés (BSK OR I-Weber, 7e éd., Bâle 2020, art. 257d CO N 7). Une bailleresse ne commet toutefois pas un abus de droit lorsqu’elle résilie le bail pour défaut de paiement après avoir reçu des loyers de retard (ATF 119 II 232, consid. 2).
Dans le cas soumis à la sagacité des juges fédéraux, la bailleresse a fixé à la locataire un délai de 30 jours pour payer le loyer dû, avec menace de résiliation du bail, en date du 11 août 2020. Ce délai était manifestement échu le 12 novembre 2020. Le fait que l’intimée ait à nouveau menacé de résilier le bail pour d’autres loyers impayés, en novembre 2020, n’y change rien.
Si la bailleresse prononce une résiliation pour retard de paiement longtemps après l’expiration du délai de paiement, il se peut qu’elle agisse de manière abusive. Un report de la résiliation ne peut toutefois être considéré comme abusif que si la bailleresse accepte sans réserve des paiements complets de loyer du locataire après l’expiration du délai de paiement fixé (TF, 10.11.2022, 4A_367/2022, consid. 5.2.2). En l’espèce, l’intimée n’a pas reçu de loyers de la recourante après la menace de résiliation du 11 août 2020, ce qui exclut d’emblée une violation de la bonne foi en raison d’une longue attente avant de prononcer la résiliation.
C’est à tort également que la recourante reproche à l’instance précédente d’avoir refusé de considérer le prétendu congé de rétorsion comme un « fondement factuel et juridique du droit à des dommages-intérêts ». En effet, la recourante a renoncé, en connaissance de toutes les circonstances pertinentes, à contester le congé dans le délai imparti conformément à l’art. 273 CO (BSK OR I-Weber, 7e éd., Bâle 2020, art. 271/271a CO N 34). Le Tribunal fédéral ne juge ainsi pas nécessaire d’aborder la question de savoir si le fait de ne pas contester le congé exclut en règle générale l’exercice d’une prétention en dommages-intérêts (ZK OR-Higi/Bühlmann, 5e éd., Zurich 2022, art. 271 CO N 100 ; voir également ATF 145 III 143, consid. 3-5). Il ne voit de toute façon pas en quoi il y aurait une résiliation abusive. Une résiliation pour retard de paiement qui répond aux exigences de l’art. 257d CO, mais qui est contraire aux règles de la bonne foi, peut certes être contestée selon les règles de l’art. 271f CO. La jurisprudence n’autorise toutefois la contestation d’une résiliation pour retard de paiement que dans des circonstances exceptionnelles (TF, 10.11.2022, 4A_367/2022, consid. 5.2.1 ; ATF 140 III 591, consid. 1). Or, la clausula rebus sic stantibus ne dispensait pas la locataire (avant une appréciation judiciaire des conditions y relatives) d’exécuter son obligation de payer les loyers.
La recourante conteste enfin, de manière purement appellatoire selon le Tribunal fédéral, le résultat de l’interprétation de l’instance précédente selon laquelle le transfert sans indemnité des aménagements du locataire et de l’inventaire s’applique également en cas de résiliation extraordinaire du bail ou en cas de pandémie. Elle fait valoir en bloc que l’instance précédente a méconnu le fait que le transfert convenu de l’inventaire et des aménagements n’a lieu ni en cas de pandémie COVID, ni en cas de violation préalable du contrat par la bailleresse. Le Tribunal fédéral note, à ce titre, que la recourante n’a pas réussi à prouver une violation du contrat par la bailleresse et que l’instance précédente a valablement refusé une adaptation judiciaire du contrat sur la base de la clausula rebus sic stantibus. Il était donc logique que l’instance précédente ne se soit pas écartée, dans l’optique d’un « cas de pandémie COVID », du transfert convenu sans indemnisation de l’inventaire et des aménagements, ce d’autant plus que la résiliation du contrat de bail était due à la cessation unilatérale du paiement des loyers.
En résumé, la recourante ne parvient pas à démontrer que l’instance précédente aurait violé le droit fédéral ou serait tombée dans l’arbitraire en concluant qu’il n’y avait pas de fondement juridique pour une demande à l’intimée d’indemnisation en lien avec le transfert des aménagements du locataire et de l’inventaire.
Au vu de ce qui précède, le recours a été intégralement rejeté et la recourante a été condamnée, en sus des frais de justice, au paiement en faveur de la bailleresse de dépens à hauteur de CHF 17’000.-.
III. Analyse
A titre liminaire, on note que ce n’est que cinq ans après la pandémie de COVID-19 que la question de fond est tranchée, pour la première fois, par le Tribunal fédéral. Pour mémoire, un premier cas n’avait pas pu être traité, faute de valeur litigieuse suffisante. Selon le Tribunal fédéral, ne constitue pas une question juridique de principe le fait de savoir si la fermeture des établissements publics ordonnée durant la pandémie de COVID-19 peut être considérée comme un défaut de la chose louée au sens de l’art. 259a CO (TF, 16.02.2023, 4A_611/2021, consid. 1 ; art. 74 al. 2 let. a LTF).
On peut ainsi saluer les efforts des parties, face à cette situation inédite, de trouver des solutions amiables, favorisées également par les aides étatiques, à l’instar des accords VESTA intervenus entre l’USPI Genève, la Chambre genevoise immobilière (CGI), l’ASLOCA et l’État de Genève.
Sur le fond, l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral convainc.
Le résultat du raisonnement mené par l’instance cantonale ne prête, en effet, pas flanc à la critique.
Certes, à l’instar d’une partie de la doctrine, on aurait apprécié que soit discutée la problématique de l’application de la théorie de l’imprévision en matière de bail à loyer, face à l’article 266g CO qui peut constituer une lex specialis (ZK OR-Higi, 5e éd., Zurich 2022, art. 266g CO N 42 ; BK-Hausheer/Aebi-Muller, Berne 2012, art. 2 CC N 229 ; Peduzzi, Die Auswirkungen der Notmassnahmen in der Coronakrise auf Geschäftsmietverträge, MRA 2020, p. 3 ss ; Saviaux, Avis de droit [COVID-19 – paiement du loyer], Lausanne 2020). A noter que selon Bohnet, la clausula a une portée bien plus large que l’article 266g CO et garantit une meilleure marge de manœuvre de sorte que son application ne saurait être exclue (Bohnet, Bail à loyer pour locaux commerciaux et Ordonnance 2 COVID-19, Cahiers du bail 2/2020, p. 26).
Cela étant, c’est de manière tout à fait convaincante que l’instance cantonale a procédé à l’examen strict de l’éventuelle intervention du juge, seulement lorsque le changement de circonstances rompt à tel point l’équilibre entre prestations et contre-prestations qu’en ne renonçant pas à ces prestations contractuelles, le créancier exploite usurairement le déséquilibre créé. Ce faisant, il abuse manifestement de son droit (ATF 128 III 428 ; 107 II 343).
Le Tribunal fédéral fait, à raison, une application restrictive de cette théorie qui porte atteinte au principe pacta sunt servanda. Il admet, par exemple, le recours à la théorie de l’exorbitante lorsque l’exécution du contrat serait de nature à causer la ruine du débiteur (ATF 48 II 242). Dans un arrêt ancien (ATF 54 II 257, JdT 1922 546), le Tribunal fédéral a posé comme condition à l’application de ce principe que la partie qui entend réclamer la résolution du contrat doit être dans une impossibilité subjective d’exécuter ses obligations ou ne peut les exécuter qu’au risque de se ruiner ou subir un dommage important.
L’instance cantonale a, en outre, justement tenu des circonstances du cas d’espèce, afin d’exclure tout déséquilibre grave dont :
- l’influence précise des restrictions sur la situation financière de la locataire, en excluant les éléments antérieurs (pertes reportées) ou postérieurs (dépenses extraordinaires en raison de la fin anticipée de l’exploitation due au défaut de paiement),
- les aides financières et
- la durée prévue du bail.
Les juges genevois avaient procédé à un raisonnement similaire et nié l’existence d’un déséquilibre propre à entraîner la ruine des locataires qui n’avaient pas démontré un abus de droit du bailleur à exiger en procédure le paiement de l’intégralité du loyer (Tribunal des baux et loyers de Genève, 28.06.2021, JTBL/565/2021, commenté par Gurbanov, Le sort de l’obligation de payer le loyer des locaux commerciaux fermés à la suite du prononcé des mesures destinées à lutter contre l’épidémie COVID-19 [Tribunal des baux et loyers de Genève, JTBL/565/2021], Newsletter Bail.ch septembre 2021).
On peut évidemment regretter que la motivation du recours n’ait pas vraiment permis au Tribunal fédéral de discuter la question de savoir si la chose louée, malgré les restrictions étatiques, demeure dans un état approprié à l’usage pour laquelle elle a été louée, au sens de l’article 256 al. 1 CO.
Il semble néanmoins que les juges de Mon Repos n’aient pas été heurtés par les considérants 3.3.2 de l’instance précédente arrivant à la conclusion d’une absence de défaut, puisque la bailleresse n’a notamment pas voulu garantir à la recourante l’utilisation durable de l’objet loué comme établissement hôtelier ni lui assurer la réalisation d’un chiffre d’affaires déterminé.
De nombreuses juridictions cantonales ont adopté la même approche, en estimant que la restriction de l’utilisation en raison des mesures prises par les autorités n’est pas la conséquence d’un défaut de la chose louée, mais une circonstance liée au risque entrepreneurial du locataire (Tribunal des baux du district de Zurich, 02.08.2021, MJ21008-L, ZMP 2021 n° 10, consid. 4.5 ; Tribunal régional du Littoral et Val-de-Travers, 23.02.2021 ; Tribunal des baux et loyers de Genève, 28.06.2021, JTBL/565/2021 ; Cour d’appel de Bâle-Ville, 08.08.2022, ZB.2022.6 ; IIe Cour d’appel du Tribunal du canton de Fribourg, 02.12.2022, 102 2022 46).
Rappelons qu’en revanche pour le juge du Tribunal civil de Bâle-Ville, l’obligation de fermeture des restaurants imposée par le Conseil fédéral par voie d’ordonnance durant la pandémie de COVID-19 constitue un défaut de la chose louée pour le locataire d’un restaurant car l’état réel de la chose louée diffère de l’état convenu (Tribunal civil du canton de Bâle-Ville, 28.01.2022, MG.2021.20, commenté par Rubli, Le loyer des locaux commerciaux provisoirement fermés suite aux mesures étatiques pour lutter contre le coronavirus [décision MG.2021.20], Newsletter Bail.ch mai 2022, cf. également Tribunal d’appel du canton du Tessin, 04.11.2021, 12.2021.41).
A notre sens, la notion de défaut qui se définit, à l’aune des articles 258 et 259a CO, comme un empêchement d’user de la chose conformément au bail, parce que celle-ci n’est pas dans un état approprié à l’usage pour lequel elle a été louée (Lachat/Rubli, Le bail à loyer, Lausanne 2019, Chap 11, N 1.1 ; CPra Bail-Aubert, 2e éd., Bâle 2019, art. 258 CO N 20 ; Bohnet, op. cit., p. 3 s.), ne trouve pas application en cas de restriction de l’utilisation en raison des mesures prises par les autorités.
La destination des locaux se détermine, en effet, sur la base du contrat de bail si celui-ci la mentionne et, à défaut, selon les circonstances du cas particulier (CPra Bail-Aubert, op. cit., art. 258 CO N 21).
Lorsque les parties stipulent dans le contrat une clause d’affectation spécifique, elles visent, à notre sens, bien plutôt à interdire un changement d’affectation, tel que des bureaux en salon de massage, et non à garantir les conditions d’ouverture au public de la chose louée (Lynedjian, Ordre de fermeture des magasins restaurant en lien avec le COVID-19. Pourquoi les loyers restent dus, Cahiers du Bail, 2020/2, N 14, p. 57).
Il est certes communément admis qu’un défaut peut être de nature juridique et immatérielle, notamment lorsque des prescriptions administratives restreignent l’usage convenu de la chose louée, c’est-à-dire affecte la chose louée (CPra Bail-Aubert, op. cit., art. 258 CO N 28). Il en va ainsi d’un bâtiment ne respectant pas les prescriptions de la police du feu ou d’une interdiction d’exploiter un local prononcée en raison de la présence de matériaux dangereux interdits (Tribunal cantonal du Jura, CdB 1995 86 ; CPra Bail-Aubert, op. cit., art. 258 CO N 28 ; Bohnet, op. cit., p. 5 s.).
Toutefois, comme souligné par Bohnet, dans le cas d’une interdiction d’ouverture et d’exploitation des commerces et de tout autre établissement public découlant notamment de l’ordonnance de COVID-19, la chose demeure dans un état approprié à l’usage pour lequel elle a été louée au sens de l’art. 256 alinéa 1 CO, soit exempte de tout défaut (Bohnet, op. cit., p. 6).
En effet, la fermeture des établissements publics ne s’applique qu’aux locataires exploitants qui seuls ont le pouvoir de fermer leurs établissements, alors que les bailleurs n’ont aucune possibilité contractuelle d’intervenir en ce sens.
Les mesures cantonales et fédérales visent ainsi uniquement l’exploitation du commerce en tant que telle, tout particulièrement l’activité du locataire, et non pas le local dans lequel intervient cette activité (Bohnet, op. cit., p. 6 ; Saviaux, op. cit.).
Bohnet illustre parfaitement ce constat en expliquant que le commerçant ne peut pas exploiter quel que soit finalement son lieu d’activité et ne pourrait, par exemple, s’adonner à la coiffure à domicile ou à la vente au détail dans la rue sur un stand organisé à la sauvette (Bohnet, op. cit., p. 6).
Saviaux précise, d’ailleurs, que « les restaurants […] qui se sont vu fermer du jour au lendemain, étaient ouverts et exploités la veille. Cela démontre que la chose était en parfait état d’exploitation, matériel et juridique. Toutes les conditions nécessaires étaient réunies, pour qu’elle fonctionne (autorisation d’exploiter, patente, etc.) » (Saviaux, op. cit.).
Une modification des conditions d’ouverture au public auxquelles l’exploitant doit se conformer ne saurait ainsi être constitutive d’un défaut.
Dans un arrêt ancien, le Tribunal fédéral n’avait d’ailleurs pas considéré comme défectueux des locaux dont l’exploitation était rendue impossible par un arrêté cantonal interdisant à la locataire l’ouverture d’une succursale dans le canton de Vaud (ATF 62 II 42, Affaire de la Ière Section civile du 25 février 1936 dans la cause MIGROS SA c/ Bel-Air Métropole B SA).
Dans ces motifs, le Tribunal fédéral avait d’ailleurs relevé que l’attitude de MIGROS SA, qui entendait garder le bénéfice du bail tout en étant libérée de ses obligations de paiement des loyers, constituait une attitude inadmissible. La locataire aurait, en effet, pu restituer les locaux (ATF 62 II 42).
C’est donc, selon notre appréciation, à raison que l’existence d’un défaut a été niée par l’autorité cantonale.
Dans l’arrêt qui nous occupe, demeure encore ouverte l’applicabilité éventuelle de l’article 119 CO et la distinction entre l’impossibilité subséquente pour le créancier et l’inutilité subséquente (Haefeli/Galli/Vischer, Coronavirus SARS-CoV-2 : Klärung mietrechtlicher Fragen, Jusletter 14 avril 2020, p. 5 ; Reichle/Stehle, Coronavirus und Geschäftsraummiete, Jusletter 18 mai 2020, p. 8 ss ; Lachat/Brutschin, Le bail au temps du Coronavirus, SJ 2020 II, p. 111 ss), puisque la disposition n’a pas été invoquée.
Enfin, quant à l’indemnité en lien avec les aménagements et l’inventaire, le Tribunal fédéral l’a logiquement exclue vu l’absence de nécessité d’adaptation, le fait que la résiliation du contrat de bail était due à la cessation unilatérale du paiement des loyers et que la locataire avait tout bonnement échoué à obtenir une adaptation judiciaire du contrat.