Analyse de l'arrêt TF 4A_576/2024
12 juin 2025
Congé-démolition
I. Objet de l’arrêt
Dans l’arrêt 4A_576/2024, le Tribunal fédéral donne des précisions sur les critères permettant de déterminer si un « congé-démolition » doit être qualifié d’abusif.
II. Résumé de l’arrêt
A. Les faits
Par contrat de bail du 1er mars 2016, B. (locataire, défendeur et intimé) a pris à bail un appartement appartenant à l’époque à C. à partir du 1er avril 2016. Cet appartement était situé sur la parcelle n°xxx, à la rue U. à V. Suite au décès de C., D. est devenu le nouveau propriétaire de la parcelle n°xxx et, par la même occasion, le nouveau bailleur.
La société A. AG (demanderesse et recourante) est propriétaire des parcelles voisines n°yyy et zzz. Sur ces parcelles, elle réalise le lotissement « W. » avec E. AG.
Par lettre du 7 octobre 2022, l’avocat de D. a informé l’intimé qu’un important projet de construction était en cours de réalisation dans le quartier « W. ». Ce projet allait donner une autre image du secteur, raison pour laquelle l’immeuble dans lequel se trouve l’appartement loué par B. devait faire l’objet de travaux. Le même jour, le bail a été résilié au moyen de la formule officielle, avec pour motif « démolition/reconstruction du bâtiment ». Les baux des deux autres locataires de l’immeuble ont également été résiliés.
Une fois la résiliation notifiée, D. a vendu la parcelle n°xxx à la demanderesse.
Le 9 novembre 2022, le défendeur a contesté la résiliation du bail devant l’autorité de conciliation. L’autorité a rendu une proposition de jugement qui a été refusée, de sorte qu’une autorisation de procéder a été remise à la demanderesse. Celle-ci a déposé une demande le 11 mai 2023 devant le Kantonsgericht de Zoug, concluant principalement à la constatation de la validité de la résiliation du contrat de bail. L’intimé a conclu au rejet de la demande, subsidiairement à la prolongation du bail jusqu’au 20 juin 2027.
Par décision du 2 octobre 2023, le juge unique du Kantonsgericht de Zoug a rejeté la demande et annulé la résiliation du contrat de bail du 7 octobre 2022. Il a considéré que le congé était abusif, car la demanderesse n’avait ni allégué ni prouvé avoir un projet concret de construction.
La demanderesse a déposé un appel contre cette décision devant l’Obergericht du canton de Zoug. Par jugement du 3 octobre 2024, l’appel a été rejeté.
La demanderesse et recourante a déposé un recours devant le Tribunal fédéral contre cette décision, après avoir transféré l’immeuble à F. AG.
B. Le droit
En premier lieu, le Tribunal fédéral rappelle que, si après la notification de la décision attaquée, la chose litigieuse est vendue ou la prétention litigieuse cédée, le jugement est rendu entre les anciennes parties si la partie adverse ne consent pas à un changement de partie ou si aucun changement de partie n’est demandé (art. 17 al. 1 et 21 al. 2 PCF, applicable par renvoi de l’art. 71 LTF). Il en va ainsi lorsque le bien loué est vendu pendant le délai de recours et que le nouveau propriétaire et bailleur n’intervient pas dans le procès. Un procès en cours concernant la validité du congé donné par l’ancien bailleur se déroule, malgré le transfert de propriété, entre les parties initiales, tant qu’il n’y a pas de changement de partie. C’est le cas en l’espèce : la propriété de l’immeuble dans lequel se situe l’appartement litigieux a été transférée à F. AG le 10 octobre 2024, alors que le délai de recours contre le jugement de deuxième instance courait encore. La recourante n’était donc plus propriétaire au moment de l’introduction du recours le 4 novembre 2024. Il n’y a pas eu de changement de partie, car un tel changement n’a pas été demandé par F. AG. De ce fait, malgré le transfert de propriété, la recourante a conservé la qualité de partie dans la procédure de recours du Tribunal fédéral (consid. 1).
Le Tribunal fédéral expose ensuite les principes relatifs à la contestation du congé. Bien que les parties soient en principe libres de résilier un contrat de bail de durée indéterminée en respectant le délai et le terme applicables, un congé est toutefois annulable s’il est contraire à la bonne foi (art. 271 al. 1 CO) (ATF 148 III 215, consid. 3.1.1 s. ; 145 III 143, consid. 3.1) (consid. 3.1). Le motif réel du congé est déterminant, étant précisé qu’une motivation lacunaire ou absente ne conduit pas immédiatement à retenir le caractère abusif du congé. Il peut toutefois s’agir d’un indice en ce sens (ATF 148 III 215, consid. 3.1.3 ; 143 III 344, consid. 5.3.1) (consid. 3.2). Le tribunal doit se placer au moment où le congé a été donné pour déterminer s’il est abusif. Les circonstances qui surviennent par la suite permettent parfois de tirer des conclusions sur l’intention du bailleur au moment de la résiliation (ATF 148 III 215 consid. 3.1.4 ; 142 III 91, consid. 3.2.1) (consid. 3.3). Le destinataire du congé doit prouver que celui-ci a été donné sans motif digne de protection ; l’expéditeur du congé doit néanmoins collaborer à la recherche de la vérité, en motivant le congé sur demande et, en cas de contestation, en présentant les documents pertinents (ATF 148 III 215, consid. 3.1.5 ; 142 III 568, consid. 2.1 ; TF, 19.05.2016, 4A_475/2015, consid. 4.5) (consid. 3.4).
Ces principes s’appliquent en matière de congé pour cause de rénovation ou d’assainissement du bien loué (ATF 148 III 215, consid. 3.2). Selon la jurisprudence fédérale, une telle résiliation n’est pas contraire à la bonne foi si les travaux prévus ne sont pas compatibles avec la présence du locataire dans le bien loué. En revanche, si les travaux n’étaient que peu entravés ou retardés, si le locataire reste dans son logement, le congé est contraire à la bonne foi. Il y a également abus de droit si le projet ne paraît pas conforme à la réalité ou objectivement impossible ou si le bailleur ne dispose pas, au moment de la résiliation, d’un projet suffisamment mûr et élaboré pour permettre de déterminer si le locataire pourrait rester dans le bien loué durant les travaux (ATF 148 III 215, consid. 3.2.2 ; 142 III 91, consid. 3.2.1 ; 140 III 496, consid. 4.2.2) (consid. 3.5.1).
Le congé donné en vue de travaux de transformation ou d’assainissement se distingue du congé donné dans la perspective de démolir l’objet loué (« congé-démolition »). Le Tribunal fédéral avait déjà jugé que la résiliation pour cause de vastes travaux d’assainissement ou de transformation, incompatibles avec l’utilisation de l’objet loué, n’était pas abusive (ATF 148 III 215, consid. 3.2 ; TF, 05.03.2013, consid. 4.2). Il doit en aller de même lorsque le bailleur prévoit de démolir le bien loué : la démolition est incompatible avec une location (consid. 3.6.1).
La validité du congé-démolition ne présuppose pas que la démolition soit nécessaire et urgente en raison de l’état de l’immeuble (TF, 05.03.2014, 4A_503/2013, consid. 4.3). Le bailleur décide quels travaux il veut faire exécuter et à quel moment (ATF 148 III 215, consid. 3.2.1). La décision de démolir l’immeuble incombe donc exclusivement au bailleur. Des raisons autres que l’état du bâtiment peuvent motiver la démolition, comme une nouvelle construction plus dense permettant d’obtenir un meilleur rendement (consid. 3.6.2).
Le maintien du locataire dans les lieux n’est pas possible en cas de démolition de l’immeuble. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner – comme pour le congé pour travaux d’assainissement ou de rénovation – si le bailleur dispose d’un projet suffisamment mûr et élaboré, sur la base duquel il est possible d’estimer si la présence du locataire dans le bien loué entrave ou retarde les travaux. Il n’est pas non plus nécessaire que le bailleur puisse présenter, au moment de la résiliation, un projet déjà mûr concernant l’utilisation ultérieure de l’immeuble prévue après la démolition. Les caractéristiques de l’éventuelle construction de remplacement, le calendrier des travaux et les modalités de démolition ne jouent aucun rôle ; dans tous les cas, le locataire ne peut pas rester dans l’immeuble (consid. 3.6.3).
Un congé-démolition peut toutefois être abusif dans certains cas spécifiques (consid. 3.6.4). Tel est le cas s’il est manifeste, au moment de la résiliation déjà, que la démolition de l’immeuble semble objectivement impossible, par exemple parce qu’elle est incompatible avec les dispositions de droit public (par analogie avec l’ATF 142 III 91, consid. 3.2.1) (consid. 3.6.4.1). Le caractère abusif doit en outre être retenu lorsqu’il est démontré que le motif de résiliation indiqué n’est qu’un prétexte et que le véritable motif ne peut pas être établi (par analogie avec les ATF 148 III 215, consid. 3.1.3 ; 138 III 59, consid. 2.1). A cet égard, l’absence d’indication ou l’indication sommaire de l’utilisation ultérieure du terrain après la démolition ne permet pas de conclure sans autre que le motif de résiliation indiqué (démolition) n’est qu’un prétexte. Pour vérifier le sérieux du motif de résiliation indiqué, il suffit que le bailleur fasse part d’une intention plausible ou d’une idée réalisable concernant l’utilisation ultérieure de la parcelle (consid. 3.6.4.2).
Le Tribunal fédéral examine le cas d’espèce et constate que la motivation du congé, indiquée sur la formule officielle, est « démolition/reconstruction du bâtiment ». Le courrier envoyé le même jour que la formule officielle contient des explications sur le projet de construction « W. » prévu dans le secteur (consid. 4.1).
La recourante reproche à l’instance précédente d’avoir considéré à tort, en violation de l’art. 271 CO, que le congé était contraire à la bonne foi parce qu’il avait été prononcé sans intérêt objectif et sérieux (consid. 4.2).
Le Tribunal fédéral donne raison à la recourante : il retient que la décision contestée est contradictoire, viole le droit à l’administration des preuves et se fonde sur des considérations qui ne sont pas applicables au congé-démolition (consid. 4.3).
Ainsi, bien que l’instance précédente ait reconnu à juste titre que le congé-démolition ne présupposait pas l’existence d’un projet mûr et réalisable, elle a exigé de la recourante des indications suffisamment concrètes sur la démolition ou sur le projet de construction envisagé – alors que ces conditions ne ressortent pas de la jurisprudence du Tribunal fédéral (consid. 4.3.1). En outre, dans la mesure où l’instance précédente estimait que cette condition s’appliquait, elle aurait dû accepter l’audition de témoins proposés ou admettre le grief relatif au refus de cette preuve par la première instance. Cette approche est également arbitraire : l’instance précédente ne pouvait pas, d’une part, considérer que l’intimé avait prouvé « irréfutablement » l’absence de projet suffisamment concret et réalisable et, d’autre part, refuser les témoins proposés par la recourante, qui auraient pu donner des informations sur la constructibilité du terrain ou sur la réalisation du projet (consid. 4.4).
Le jugement de l’instance précédente n’est pas non plus convaincant, d’après le Tribunal fédéral, s’agissant du congé abusif. Le jugement retient notamment que la motivation – formulée de manière très brève (« démolition/reconstruction ») – était un indice de l’absence d’intérêt digne de protection au congé. Ce raisonnement, qui est valable pour les congés donnés en vue de travaux d’assainissement ou de rénovation, ne s’applique toutefois pas au congé-démolition. Dans ce dernier cas, comme mentionné ci-dessus, le locataire doit nécessairement quitter l’objet loué. Il n’est donc pas nécessaire que le bailleur motive plus en détail le congé. De même, contrairement à l’avis de l’instance précédente, le fait que le projet n’ait pas avancé durant la procédure est sans importance, dans la mesure où D. – qui avait donné le congé – n’avait aucune influence à cet égard. L’intention apparente de vendre de A. AG n’est pas non plus un indice du caractère abusif de la résiliation (consid. 4.5).
En outre, rien n’indique que l’intimé ait prétendu que la démolition serait objectivement impossible (consid. 4.6).
L’instance précédente a donc violé le droit fédéral en retenant que le congé du 7 octobre 2022 était abusif et le recours est admis (consid. 4.7).
Comme l’instance précédente a annulé le congé, elle n’a pas examiné la demande de prolongation du locataire. L’affaire doit lui être renvoyée pour qu’elle se prononce sur ce point (consid. 5.1). Ce faisant, elle devra examiner si la nouvelle propriétaire doit prendre part à la procédure. En effet, le transfert de bail au sens de l’art. 261 al. 1 CO est considéré comme une disposition prévoyant la succession d’un tiers aux droits et obligations d’une partie au sens de l’art. 83 al. 4 CPC. En cas de vente de l’immeuble, l’acheteur reprend de plein droit le contrat avec tous les droits et obligations, mais les procès en cours ne sont repris que dans la mesure où ils concernent des faits qui pourraient avoir des effets sur le bail même après le transfert de propriété (ATF 127 III 273, consid. 4c/aa ; TF, 10.12.2024, 4A_263/2024, consid. 1.2.1 ; 28.08.2012, 4A_251/2012, consid. 2). Une éventuelle prolongation au-delà de la date d’acquisition de la propriété pourrait affecter les droits et obligations du nouveau propriétaire et bailleur. Le cas échéant, l’instance précédente devra donc examiner si elle doit inclure la nouvelle propriétaire dans la procédure et lui accorder le droit d’être entendu (consid. 5.2).
III. Analyse
Sous réserve de dispositions particulières, l’ordre juridique suisse permet tant au bailleur qu’au locataire d’optimiser sa situation économique.
De jurisprudence constante, le Tribunal fédéral a admis que le bailleur était en droit de résilier le contrat dans le but d’adapter la manière d’exploiter son bien, selon ce qu’il juge le plus conforme à ses intérêts (ATF 120 II 105 ; ATF 136 III 190 consid. 3 et 4).
Le congé peut ainsi être donné pour des motifs économiques et le Tribunal fédéral a distingué quatre domaines où le principe du congé économique s’appliquait :
- Loyer : le bailleur entend obtenir du nouveau locataire un loyer plus élevé (« Ertragsoptimierungskündigung ») (ATF 136 III 190, consid. 3).
- Congé-vente : le congé est donné parce que le bailleur souhaite vendre le bien immobilier à de meilleures conditions parce que libre de locataires (« Leerverkaufskündigung ») (SJ 2005 I 397 ; TF, 03.12.2024, 4A_481/2024).
- Changement d’affectation : la résiliation est donnée parce que le bailleur entend changer l’affectation de la chose après l’expiration du bail (ATF 136 III 190, consid. 3 et 4).
- Congé-rénovation : lorsque le bailleur procède à de vastes travaux de rénovation qui entravent de manière considérable l’usage de l’objet loué, il a un intérêt digne de protection à résilier le bail pour procéder plus rapidement et à moindres coûts à des travaux plutôt que d’attendre que la rénovation s’étende sur une longue durée et au prix d’une réduction de loyer (voir notamment ATF 135 III 112, ATF 140 III 496, ATF 140 III 566, ATF 142 III 91 et ATF 143 III 344).
Le Tribunal fédéral a dès lors dégagé les règles suivantes en matière de congé-rénovation :
- Le bailleur doit procéder à de vastes travaux de rénovation qui entravent de manière considérable l’usage de l’objet loué.
- Au moment de la résiliation, le bailleur doit disposer d’un projet suffisamment mûr et élaboré pour que l’on puisse constater concrètement que la présence du locataire entraverait les travaux.
- La validité du congé ne présuppose pas que le bailleur ait déjà obtenu les autorisations nécessaires, ni même qu’il ait déposé les documents dont elles dépendent.
- Le projet ne doit pas être incompatible avec les règles du droit public. Ainsi, le congé peut être annulé si le projet de construction est objectivement impossible et c’est au locataire d’apporter la preuve que le bailleur se heurtera à un refus des autorités administratives. Le Tribunal fédéral a d’ailleurs relevé qu’une probabilité non négligeable de refus n’était pas suffisante (ATF 140 III 496 ; Aubert, DB 2013, n°15).
Dans tous les cas, il ne s’agit pas de procéder à une pesée des intérêts et de savoir si les travaux peuvent être effectués en présence ou non du locataire. Il suffit que les travaux de rénovation entravent de manière considérable l’usage de l’objet loué. Comme le relève le Tribunal fédéral, l’examen du bien-fondé du congé s’examine au moment où le bailleur manifeste sa volonté de mettre fin au contrat. Dans la mesure où la résiliation est motivée par les travaux de rénovation, le projet du bailleur doit présenter une réalité tangible. Après avoir considéré que le locataire devait être en mesure de se faire une idée sur la réalité du projet à la réception de la résiliation (ATF 140 III 496), le Tribunal fédéral a précisé sa jurisprudence en ce sens qu’il fallait s’en tenir au texte légal de l’art. 271 al. 1 CO qui prévoit expressément que le congé doit être motivé si l’autre partie le demande. C’est au locataire d’en solliciter la motivation (ATF 143 III 344). Le bailleur peut toujours justifier le congé en cours de procédure. Précisons toutefois qu’une motivation tardive pourrait constituer un indice du fait que le projet ne présentait pas une réalité tangible et concrète au jour de la résiliation.
Dans le cas d’espèce, le bailleur a donné le congé avec pour motif « démolition/reconstruction du bâtiment ».
Le Tribunal fédéral relève tout d’abord que la démolition d’un immeuble est incompatible avec une location (consid. 3.6.1). Ainsi, comme le maintien du locataire n’est pas possible dans ce cas, il ne s’agit pas de savoir, comme pour le congé-rénovation, si le bailleur dispose d’un projet suffisamment mûr et élaboré pour permettre d’apprécier concrètement si les travaux nécessitent le départ du locataire.
Comme celui-ci ne peut pas rester dans l’immeuble, le Tribunal fédéral différencie dès lors expressément le congé-démolition du congé-rénovation. Dans le cadre du congé-démolition, le bailleur n’a ainsi pas à établir qu’au moment du congé, il disposait d’un projet « suffisamment mûr et élaboré ». Le locataire pourra toujours faire valoir qu’au moment de la résiliation, la démolition de l’immeuble semblait objectivement impossible, notamment au regard des dispositions de droit public, ou lorsque, et cela vaut pour toutes les résiliations, le motif de résiliation indiqué ne serait qu’un prétexte et que le véritable motif ne pourrait pas être établi (par analogie avec les ATF 148 III 215 consid. 3.1.3 ; ATF 138 III 59 consid. 2.1).
Les autorités de première et de deuxième instance avaient jugé que la bailleresse n’avait pas donné d’indications suffisamment concrètes sur la démolition, respectivement sur le projet de construction envisagé, l’autorité de seconde instance relevant au surplus que le projet de démolition n’avait pas avancé durant la procédure, ce qui pouvait laisser présupposer un indice du caractère abusif de la résiliation.
Cet argument est écarté par le Tribunal fédéral qui considère que la motivation donnée, soit démolition/reconstruction, suffit. Au surplus, la bailleresse avait fait état dans sa lettre jointe à la formule officielle d’un projet de construction prévu dans le secteur. Enfin, les tribunaux ne pouvaient pas exiger la production par la recourante de renseignements concrets sur la démolition et sur le projet de construction envisagé, tout en refusant en même temps d’entendre les témoins proposés par celle-ci à ce sujet.
Ainsi, pour le Tribunal fédéral, il convient de distinguer le congé-démolition du congé-rénovation.
Dans le cas du congé-démolition, il suffit dès lors, même si la formulation est brève, de faire référence à la démolition et à la reconstruction de l’immeuble pour qu’à l’évidence, le maintien du locataire dans les locaux ne soit plus possible.
C’est donc une précision de jurisprudence importante, puisque le bailleur n’a pas à prouver dans un tel cas l’existence d’un projet tangible et concret de démolition et de rénovation de l’immeuble mais doit uniquement établir que la résiliation est donnée au motif d’une démolition puis reconstruction de l’immeuble.
La décision du Tribunal fédéral paraît logique. A l’évidence, si l’immeuble est démoli, la question du maintien du locataire dans les locaux ne se pose pas.
Un bailleur raisonnable ne va pas se lancer dans un projet de démolition d’un immeuble, si celui-ci n’a guère de chance d’aboutir, que ce soit en raison de contingences administratives (classement, Vaud/LPPPL, Genève/LCI) ou financières. Il n’a dès lors aucun intérêt à ne pas informer d’emblée directement le locataire qu’il s’agit d’une résiliation « démolition/reconstruction ».
Le Tribunal fédéral admet dès lors le recours de la bailleresse, précédente propriétaire, et renvoie le dossier à l’autorité cantonale pour statuer sur la prolongation demandée.
En effet, l’immeuble avait été vendu alors que le délai de recours à l’encontre du jugement de deuxième instance était encore pendant. La recourante restait dès lors propriétaire au moment de l’introduction du recours et il n’y avait pas eu de changement de partie, le nouveau bailleur ne l’ayant pas sollicité.
Dès lors, comme le recours est admis et le dossier renvoyé à l’autorité cantonale, celle-ci devra statuer sur une prolongation du bail demandée par le locataire et, par conséquent, sur une éventuelle prolongation au-delà de la date d’acquisition ; l’autorité cantonale devra trancher si elle doit inclure la nouvelle propriétaire dans la procédure et lui accorder le droit d’être entendue.