TF 4A_395/2017
du 11 octobre 2018
Défaut; procédure; question juridique de principe; conditions pour modifier la demande lorsque s’applique la maxime inquisitoire sociale; notion de défaut; réduction de loyer et dommages-intérêts; art. 256, 258, 259b, 259e CO ; 74 al. 2 lit. a LTF ; 227, 229, 230 CPC
Lorsque la valeur litigieuse de CHF 15'000.- n’est pas atteinte, le recours en matière civile n’est ouvert devant le Tribunal fédéral que si la question litigieuse est une question juridique de principe, c’est-à-dire une question donnant lieu à une incertitude caractérisée, laquelle appelle de manière pressante un éclaircissement de la part du Tribunal fédéral en tant qu’autorité suprême chargée de dégager une interprétation uniforme du droit fédéral ; tel est le cas en l’espèce, dans la mesure où la question litigieuse est celle de savoir si la congélation des effets personnels des locataires suite à la présence de punaises de lit dans le logement est une mesure destinée à supprimer le défaut de la chose louée, de sorte que sa prise en charge par le bailleur obéirait à l’art. 259b CO, ou s’il s’agit d’un dommage dont la réparation serait soumise à l’art. 259e CO ; cette question qui n’a jamais été tranchée par le Tribunal fédéral, revêt une portée générale et ne pourra, eu égard au montant des frais en jeu, vraisemblablement jamais être présentée au Tribunal fédéral avec une valeur litigieuse suffisante ; le recours en matière civile est donc recevable (consid. 1).
En procédure simplifiée, lorsque s’applique la maxime inquisitoire sociale, des faits et moyens de preuve nouveaux peuvent être invoqués jusqu’aux délibérations ; une modification de la demande aux débats principaux suppose qu’elle soit liée à des faits ou moyens de preuve nouveaux ; l’exigence de la nouveauté demeure ainsi, en ce sens que le demandeur ne peut pas introduire une nouvelle conclusion qui serait fondée sur des faits allégués précédemment ; or tel est le cas en l’espèce, dans la mesure où les locataires ont pris, lors des plaidoiries finales, une conclusion en constat négatif portant sur des frais de traitement de désinfestation de l’appartement qui reposait sur des faits allégués précédemment et non sur des faits nouvellement allégués ; partant, cette conclusion est irrecevable (consid. 4).
Il y a défaut de la chose louée lorsque l’état réel de la chose diverge de l’état convenu, c’est-à-dire lorsque la chose ne présente pas une qualité que le bailleur avait promise ou lorsqu’elle ne présente pas une qualité sur laquelle le locataire pouvait légitimement compter en se référant à l’état approprié à l’usage convenu ; le défaut est une notion relative, son existence dépendra des circonstances du cas particulier ; le défaut est grave lorsqu’il met en danger la santé du preneur et de sa famille ou lorsqu’il empêche totalement le locataire d’habiter, pendant un certain temps, le logement loué ou une part importante de celui-ci ; lorsque le défaut est grave ou de moyenne importance, le locataire peut notamment réclamer une réduction proportionnelle de loyer ; il n’est pas nécessaire que le bailleur soit fautif ; celui-ci peut cependant se libérer en prouvant que le défaut a été causé par le locataire ; pour apprécier le montant de la réduction de loyer, il faut en principe procéder selon la méthode relative, soit comparer la valeur objective de la chose avec défaut et celle sans défaut, le loyer devant ensuite être réduit dans la même proportion ; un tel calcul n’est toutefois pas toujours aisé et le juge peut alors procéder à une appréciation en équité, par référence à l’expérience générale de la vie, au bon sens et à la casuistique ; en l’espèce, il n’est pas contesté que l’appartement loué, qui était infesté de punaises de lit, était affecté d’un défaut ouvrant le droit à une réduction de loyer ; la fixation de la réduction selon les règles de l’équité n’était pas critiquable, dans la mesure où l’état défectueux s’est prolongé sur une longue période au cours de laquelle l’appartement a été infesté dans sa quasi-totalité ; en effet, selon l’usage prévu contractuellement, le logement était destiné à l’habitation familiale principale des locataires ; or la remise en état de la chose louée, à la charge de la bailleresse, nécessitait l’utilisation de substances chimiques à laisser poser trente jours, lesquelles constituaient un danger pour la santé des jeunes enfants des locataires ; ainsi, pendant toute la période où les divers traitements de désinfection successifs sont intervenus, l’appartement ne pouvait objectivement être affecté à l’usage prévu, soit servir d’habitation familiale aux locataires (consid. 5).
L’art. 259e CO permet au locataire de réclamer au bailleur des dommages-intérêts pour le dommage subi en raison d’un défaut de la chose louée ; cette disposition est un cas d’application de l’art. 97 CO ; la responsabilité (contractuelle) du bailleur est engagée si le dommage se trouve en relation de causalité adéquate avec le défaut de la chose louée, à moins que le bailleur ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable ; l’art. 259e CO présume donc la faute du bailleur, lequel peut se libérer s’il prouve avoir pris toutes les précautions pour éviter le dommage ou y remédier ; en l’espèce, la réparation du dommage occasionné aux locataires doit être analysée au regard de l’art. 259e CO, et non de l’art. 259b CO relatif à la remise en état ; en effet, la congélation des effets personnels des locataires ne vise pas à éliminer la source du défaut ; l’infestation de ces objets est une conséquence, et non la cause du défaut ; or les effets personnels du locataire relèvent manifestement du patrimoine de ce dernier ; il ne s’agit pas de la chose louée elle-même, seule appréhendée par l’art. 259b CO ; cette disposition, qui fait abstraction de toute faute du bailleur, ne saurait donc s’appliquer au dommage subi par le locataire ; le recours doit donc être admis sur ce point et l’arrêt annulé en tant qu’il condamne la bailleresse à verser aux locataires la somme correspondant à la congélation des effets personnels ; la cause doit être renvoyée à l’instance précédente pour que celle-ci examine, au regard de l’art. 259e CO, si les frais de congélation sont à la charge de la bailleresse, ce qui dépendra du point de savoir si celle-ci parvient à prouver qu’elle a pris toutes les précautions pour éviter le dommage ou y remédier (consid. 6).
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