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Newsletter juillet 2018
Editée par Bohnet F., Carron B., Dietschy-Martenet P., avec la participation de Conod Ph.
20e Séminaire sur le droit du bail
Les inscriptions sont ouvertes !
Le 20e Séminaire sur le droit du bail se déroulera à Neuchâtel, en deux éditions identiques, les
- 5 & 6 octobre 2018 - inscriptions en ligne en cliquant ici
- 19 & 20 octobre 2018 - inscriptions en ligne en cliquant ici
!! Attention : la première édition affiche bientôt complet !!
Les thèmes ci-après seront abordés :
- Codébiteurs solidaires et tiers garants en droit du bail, François Bohnet, professeur à l’Université de Neuchâtel
- Plateformes d’hébergement en ligne et droit du bail, Carole Aubert, avocate à Neuchâtel
- Le bail de locaux nus, Blaise Carron, professeur à l’Université de Neuchâtel
- La protection des locataires contre les discriminations, Laurent Bieri, professeur à l’Université de Lausanne
- La détermination du loyer initial en cas de nullité ou de contestation, Pierre Stastny, avocat à Genève
- Loyers, rendements et travaux à plus-value, Philippe Conod, avocat, professeur associé à l’Université de Neuchâtel
- ...et la traditionnelle présentation à trois voix de la jurisprudence des deux dernières années
Vous trouverez le programme détaillé en cliquant ici.
TF 4A_48/2018 du 18 mai 2018
Conclusion; procédure; recours contre une décision partielle; requalification du bail de durée déterminée en bail de durée indéterminée; art. 91 lit. a, 93, 105 LTF
Lorsque le litige porte sur les questions de la durée, déterminée ou indéterminée, du contrat et du montant du loyer et des acomptes à verser, celles-ci sont indépendantes l’une de l’autre ; dans la mesure où la décision résout la première de ces contestations en confirmant que le contrat doit être qualifié de durée indéterminée, il s’agit d’une décision partielle, susceptible de recours au Tribunal fédéral ; en ce qui concerne le montant du loyer, l’arrêt qui renvoie la cause sur ce point au tribunal de première instance constitue une décision incidente, qui n’est susceptible de recours au Tribunal fédéral qu’aux conditions restrictives de l’art. 93 al. 1 lit. a ou b LTF (consid. 4).
Selon la jurisprudence, la conclusion de baux à loyer successifs de durée déterminée entre les mêmes parties, plutôt que la conclusion d’un bail de durée indéterminée résiliable dans le respect des délais et termes de congé convenus ou légaux, permet éventuellement au bailleur de se soustraire à des dispositions légales impératives destinées à la protection du locataire, telles les règles contre les loyers abusifs ou les congés abusifs ; le choix de proposer au locataire de conclure un bail de durée déterminée est néanmoins licite, sous réserve d’une fraude à la loi ; le bailleur élude la loi si, ayant l’intention de louer une chose pour une durée indéterminée, il adopte un système de baux de durée déterminée aux seules fins de faire échec à des règles impératives ; il appartient le cas échéant au locataire d’alléguer et de prouver la fraude à la loi ; en l’espèce, à l’issue d’une discussion détaillée des preuves administrées, le Tribunal des baux et loyers a constaté que la bailleresse avait pour dessein de mettre des logements à disposition pour une durée indéterminée, mais que, lors de la formation de chaque relation contractuelle, elle n’offrait au locataire qu’un bail de durée déterminée aux seules fins de l’empêcher ou de le dissuader de faire valoir les dispositions légales impératives contre les congés ou les loyers abusifs ; la cour cantonale supérieure a confirmé cette appréciation des preuves ; ces constatations de fait, qui ont trait à ce que les parties savent ou veulent au moment de conclure le bail, lient le Tribunal fédéral (consid. 6).
Commentaire de l'arrêt TF 4A_48/2018
Requalification du bail de durée déterminée en bail de durée indéterminéeTF 4A_295/2017 - ATF 144 III 462 du 25 avril 2018
Bail à ferme; résiliation; expulsion; procédure; expulsion en cas clair; question préjudicielle de la nullité du congé pour défaut de notification par formule officielle; devoir du locataire d’alléguer ce fait ou de le contester en application de la maxime des débats; art. 11, 20, 257d, 266l, 266o, 267, 282, 298 CO; 55, 57, 257 CPC
L’action en expulsion du locataire ou du fermier pour défaut de paiement du loyer ou du fermage selon la procédure en cas clair présuppose que le bail ait valablement pris fin ; le tribunal doit trancher à titre préjudiciel la question de la validité du congé, lequel ne doit pas être inefficace, nul ou annulable ; les conditions de l’art. 257 CPC s’appliquent aussi à cette question préjudicielle ; la résiliation doit notamment avoir été notifiée sur formule officielle, sous peine de nullité ; cette nullité est une question de droit que le tribunal doit vérifier d’office, pour autant que les faits sur lesquels elle repose aient été allégués par les parties et prouvés, compte tenu de l’application de la maxime des débats dans la procédure en cas clair ; il appartient donc au locataire ou au fermier de contester avoir reçu la formule officielle que le bailleur allègue avoir envoyée, à défaut de quoi le bailleur demandeur n’a pas à apporter la preuve de ladite notification en produisant une copie de la formule ; en l’espèce, les fermiers n’ont pas allégué le défaut de notification de la formule officielle et n’ont pas non plus contesté, en première instance puis en instance d’appel, l’allégué du bailleur selon lequel il avait joint la formule officielle aux courriers de résiliation ; or, comme la maxime des débats s’applique, ce fait non contesté est un fait prouvé ; la première condition de l’art. 257 CPC – l’existence d’un fait non litigieux – est ainsi remplie (consid. 3).
Commentaire de l'arrêt TF 4A_295/2017 - ATF 144 III 462
François Bohnet
Avocat spécialiste FSA droit du bail, LL.M., Dr en droit, Professeur à l'Université de Neuchâtel
TF 4A_291/2017 du 11 juin 2018
Loyer; notion de logement de luxe; pouvoir d’appréciation du juge; loyers usuels du quartier déterminés sur la base de statistiques officielles; art. 253b al. 2, 269, 269a lit. a, 270a CO; 11 OBLF; 4 CC
Lorsque la bailleresse, intimée au recours, invoque que, contrairement à ce qu’ont retenu les autorités cantonales, l’objet loué est luxueux, échappant ainsi aux dispositions sur la protection contre les loyers abusifs, elle ne doit pas se contenter de décrire l’immeuble comme luxueux de son point de vue, mais doit indiquer en quoi les instances précédentes ont outrepassé leur large pouvoir d’appréciation en la matière, étant précisé que la notion de logement de luxe doit être interprétée restrictivement (consid. 2).
Lorsque le locataire réclame une baisse de loyer et que le bailleur invoque comme moyen de défense les loyers usuels du quartier, le juge ne peut pas se fonder sur une impression générale des loyers dans le quartier, mais doit s’en tenir aux critères précis déduits de l’art. 11 OBLF et de la jurisprudence, le cas échéant au moyen de statistiques officielles qui tiennent compte de ces critères ; le niveau usuel des prix doit être déterminé de manière concrète ; il ne suffit pas que le juge soit convaincu, d’une manière ou d’une autre, en tenant compte de toutes les circonstances, que le loyer se situe dans la limite des loyers usuels du quartier ; il faut que sa conviction repose soit sur un nombre suffisant d’objets comparatifs, soit sur des données suffisamment fiables ressortant de statistiques officielles ; en l’espèce, les statistiques officielles de la ville de Bâle ne prennent en compte que des appartements comprenant une à six pièces ; or l’appartement litigieux dispose de sept pièces, si bien que les instances précédentes ne pouvaient pas se fonder sur de telles statistiques (consid. 3).
TF 4A_39/2018 du 6 juin 2018
Résiliation; expulsion; procédure; congé pour demeure dans le paiement du loyer; contenu de l’avis comminatoire; sursis à l’évacuation forcée de l’immeuble; art. 257d CO; 236 al. 3, 257, 343 al. 1 lit. d CPC; 5 al. 2 Cst.
Avant de pouvoir résilier le bail pour retard dans le paiement du loyer, le bailleur doit adresser au locataire un avis comminatoire qui indiquera le montant impayé de façon suffisamment claire et précise ; une indication chiffrée n’est pas indispensable, il suffit que l’objet de la mise en demeure soit déterminable sans discussion ; si le bailleur a plusieurs créances dont certaines ne permettent pas l’application de l’art. 257d CO alors que d’autres la permettent, son courrier doit les distinguer de manière précise pour que le locataire puisse reconnaître sans difficulté les dettes à éteindre pour éviter le congé ; il appartient au bailleur de prouver le retard du locataire dans le paiement du loyer ; le locataire doit le cas échéant contester de manière précise l’allégation du bailleur relative à un loyer impayé, à défaut de quoi le bailleur n’a pas à étayer plus avant sa position et à prouver celle-ci ; en l’occurrence, la condition de fait relative au retard dans le paiement du loyer est remplie (consid. 2-5).
Lorsqu’il se prononce sur l’évacuation forcée de l’immeuble litigieux, le juge peut accorder à la partie condamnée un délai au cours duquel celle-ci ne sera pas exposée à la contrainte et pourra restituer volontairement les locaux ; le juge doit d’ailleurs respecter le principe de proportionnalité ; il ne peut toutefois pas différer longuement l’exécution forcée et éluder le droit qui a déterminé l’issue du litige ; le délai d’exécution ne doit notamment pas remplacer la prolongation du bail ; en l’espèce, il n’y a aucune raison de penser que le locataire quittera volontairement l’appartement ; il avait jusqu’au 31 août 2017 pour le faire et a profité, du fait de la procédure en cours, d’une prolongation d’environ neuf mois ; compte tenu de l’absence d’arguments sérieux pour s’opposer à son expulsion, le locataire ne peut pas être surpris de devoir quitter son logement ; l’octroi d’un délai supplémentaire ne se justifie pas non plus au regard du principe de proportionnalité (consid. 6).
TF 4A_569/2017 du 27 avril 2018
Logement de famille; résiliation; procédure; calcul de la valeur litigieuse; notion de logement de famille; fardeau de la preuve; art. 266m, 266n CO; 8 CC
Lorsque la contestation porte à titre préjudiciel sur la validité du congé et à titre principal sur l’expulsion du locataire, la valeur litigieuse correspond au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n’est pas valable, période qui s’étend jusqu’à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ; il faut prendre en considération, le cas échéant, la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l’art. 271a al. 1 lit. e CO (consid. 4).
Le logement de la famille est celui dans lequel des époux mariés, ou des partenaires enregistrés, avec ou sans enfants, habitent et ont le centre de leur vie de famille ; le logement perd son caractère familial en cas de dissolution définitive du mariage ou du partenariat, ou lorsque les deux époux ou partenaires renoncent à considérer ce logement comme familial, ou lorsqu’ils l’ont quitté, ou encore lorsqu’ils ont décidé de son attribution définitive à l’un d’eux ; il perd également son caractère familial lorsque l’époux ou le partenaire bénéficiaire de la protection légale quitte, de son propre chef, le logement de manière définitive ou pour une durée indéterminée ; la double notification du congé exigée par l’art. 266n CO vise à protéger le conjoint ou partenaire non titulaire du bail contre le risque de ne pas recevoir la notification et d’être privé de toute possibilité de s’opposer au congé ou de demander une prolongation du contrat ; il appartient à celui qui excipe de la nullité du congé au motif que la double notification a été omise de prouver les faits dénotant que le logement en question avait la qualité de logement de famille au moment de la résiliation ; peut demeurer indécise la question de savoir si des époux ou partenaires peuvent avoir simultanément plusieurs logements de famille en raison de circonstances particulières ; en l’espèce, le locataire n’est pas parvenu à démontrer que l’appartement litigieux était encore habité par les deux époux au moment du congé et la cour cantonale n’a pas été en mesure de constater des circonstances topiques propres à justifier l’existence de deux logements de famille simultanés ; par conséquent, le locataire doit supporter l’échec de la preuve ; le recours en matière civile est admis et l’arrêt cantonal est réformé en ce sens que la décision de première instance, condamnant le locataire à évacuer l’appartement, est confirmée (consid. 5 à 7).
TF 4A_212/2018 du 22 mai 2018
Résiliation; procédure; bail commercial; qualité de partie au bail lorsque le bailleur n’est pas propriétaire; incidence sur la recevabilité de l’action; art. 59 al. 2 lit. a, 60 CPC; 261 CO
La question de savoir si la partie qui introduit l’action en constat de la validité du congé après s’être opposée à une proposition de jugement est ou non la partie bailleresse au contrat de bail litigieux ne porte pas sur une condition de recevabilité – qui doit être examinée d’office par le juge –, mais relève de la légitimation active et donc du bien-fondé de la prétention ; le bailleur n’est pas nécessairement le propriétaire de l’objet loué ; en l’espèce, le bail a été conclu entre les parties au présent litige ; la bailleresse n’a jamais été mentionnée comme propriétaire au Registre foncier ; le fait que la propriété ait été transférée à un nouvel acquéreur en juillet 2017 n’a donc aucune incidence, en particulier l’art. 261 CO ne s’applique pas, puisque ce n’est pas la bailleresse qui a aliéné le bien ; en outre, la locataire ne démontre pas de quelle manière le bail aurait passé à un autre bailleur (consid. 2).
TF 4D_4/2018 du 19 mars 2018
Expulsion; procédure; droit d’être entendu sous l’angle de la motivation de la décision; condition de l’acquiescement; conditions du cas clair; art. 58, 241, 257 CPC; 9, 29 al. 2 Cst.
Le droit d’être entendu implique l’obligation, pour l’autorité, de motiver sa décision ; il suffit que le juge mentionne au moins brièvement les motifs qui l’ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de sorte que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause ; l’autorité n’a en revanche pas besoin d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties ; elle peut se limiter à examiner les questions décisives pour l’issue du litige ; en l’espèce, la bailleresse invoque que le locataire a acquiescé à sa requête en évacuation lors de l’audience devant le Tribunal des baux ; or ce grief n’était pas susceptible de conduire à l’admission du recours cantonal et au prononcé de l’évacuation, si bien qu’on ne peut reprocher à la cour cantonale de ne pas avoir discuté ce grief ; en effet, en cas d’acquiescement, le juge doit en prendre acte et rayer l’affaire du rôle ; il n’a donc plus à statuer sur la prétention ; dans tous les cas, il faut relever qu’un acquiescement suppose la signature du procès-verbal par la partie qui acquiesce ; tel n’est pas le cas en l’espèce, un acquiescement étant donc exclu (consid. 2).
La procédure dans les cas clairs permet à la partie demanderesse d’obtenir rapidement une décision ayant autorité de chose jugée et force exécutoire ; il faut que la situation de fait et de droit soit sans équivoque ; en l’espèce, la cour cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire en retenant que la validité du congé était sujette à caution, dans la mesure où il n’était pas patent que l’ex-épouse de l’intimé, également titulaire du bail litigieux portant sur une place de stationnement, n’ait plus usage de celle-ci et que les conséquences juridiques d’un tel fait nécessitaient l’exercice d’un certain pouvoir d’appréciation du juge, ce qui faisait obstacle à la recevabilité des conclusions de la requête en expulsion en cas clair (consid. 3).
TF 4A_232/2018 du 23 mai 2018
Expulsion; procédure; droit de réplique élargi; sursis à l’évacuation forcée; art. 236 al. 3, 343 al. 1 lit. d CPC; 5 al. 2, 29 al. 2 Cst.
Le droit d’être entendu, y compris le droit de réplique élargi, est une garantie constitutionnelle, dont la violation entraîne en principe l’annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond ; il n’est toutefois pas une fin en soi ; lorsqu’on ne voit pas quelle influence la violation du droit d’être entendu a pu exercer sur la procédure, il n’y a pas lieu d’annuler la décision attaquée ; en l’espèce, la cour cantonale n’a pas transmis le mémoire de réponse à l’appelant ; celui-ci ne mettait cependant pas en doute son obligation de restituer les logements litigieux, de sorte qu’il n’a pas lieu d’annuler l’arrêt attaqué (consid. 6).
La restitution de locaux suppose leur évacuation forcée, c’est-à-dire une mesure de contrainte directe ; le juge peut accorder à la partie condamnée un délai au cours duquel celle-ci ne sera pas exposée à la contrainte et pourra se soumettre au jugement en évacuant et en restituant volontairement les biens occupés ; il doit d’ailleurs respecter le principe général de la proportionnalité et éviter que les personnes impliquées ne se trouvent soudainement privées de tout abri ; l’évacuation forcée ne peut pas être ordonnée sans ménagement ; le juge ne peut cependant pas différer longuement l’exécution forcée et, ainsi, au détriment de la partie obtenant gain de cause, éluder le droit qui a déterminé l’issue du procès ; le délai d’exécution ne doit notamment pas remplacer la prolongation du bail lorsque cette prolongation ne peut pas être légalement accordée à la partie condamnée ; en l’espèce, le locataire a obtenu une prolongation judiciaire de bail jusqu’au 19 décembre 2016 ; il avait donc déjà joui en fait d’un délai de plus de quinze mois lorsque la cour cantonale a statué sur la requête d’exécution forcée du bailleur, le 26 mars 2018 ; or le locataire résistait à l’action en restitution sans élever aucun moyen de défense sérieux et ne saurait donc se prétendre surpris par sa condamnation à évacuer les lieux ; le principe de proportionnalité n’exige donc pas de lui accorder un sursis supplémentaire (consid. 7).
TF 5A_643/2017 - ATF 144 III 277 du 8 mai 2018
Poursuite; créances résultant d’un bail conclu entre le défunt et l’un des cohéritiers de celui-ci; pouvoir d’un cohéritier d’introduire une réquisition de poursuite au nom de la communauté héréditaire contre le locataire, également membre de l’hoirie; art. 67 al. 1, 69 al. 2 ch. 1 LP; 518, 554, 602 CC
La poursuite exercée par une hoirie doit, sous peine de nullité, être intentée au nom de tous les membres de celle-ci désignés individuellement ; le préposé n’a pas à rechercher d’office si les personnes qui ont signé la réquisition de poursuite au nom du créancier possèdent effectivement le pouvoir dont elles se prévalent ; il appartient au poursuivi de le faire valoir, par le biais d’une plainte ; tel a été le cas en l’espèce, la poursuite ayant été introduite par le mandataire de l’un des membres de la communauté héréditaire seulement (consid. 3.1).
Si une dérogation au principe de l’unanimité des membres de la communauté héréditaire a été admise par la jurisprudence dans certaines situations, elle ne se justifie pas lorsqu’il s’agit d’actes juridiques conclus entre l’hoirie et l’un des héritiers, par exemple lorsqu’un héritier prend en location un bien appartenant à la communauté héréditaire ; dans ce cas, l’héritier participe au contrat d’une part comme membre de la communauté, d’autre part à titre individuel ; il en va de même lorsqu’un héritier avait conclu un contrat de bail avec le défunt ; dans ces hypothèses, si un héritier refuse de consentir à un acte juridique portant sur un bien successoral, il faut désigner un représentant de l’hoirie, à qui il appartiendra de prendre une décision ; en l’espèce, les poursuites portent sur le manque à gagner résultant de deux contrats de bail conclus entre le défunt et l’un des cohéritiers et son conjoint (non membre de la communauté) ; il ne se justifie donc pas de déroger au principe de l’unanimité ; les poursuites devaient donc être exercées conjointement par tous les héritiers (consid. 3.2).
La jurisprudence admet toutefois une exception au principe de l’indivision dans les cas urgents, où l’intérêt d’une communauté héréditaire exige une action rapide ; chaque héritier est alors habilité à agir seul comme représentant de la communauté ; l’urgence doit être admise lorsque le consentement de tous les héritiers ne peut pas être recueilli en temps utile ou lorsque la nomination d’un représentant de la communauté héréditaire ne paraît pas pouvoir être obtenue à temps ; il en va ainsi lorsqu’un délai de péremption ou de prescription est sur le point d’échoir ; les actes exécutés dans une situation d’urgence engagent pleinement la communauté et ne sont pas soumis à ratification ; s’il est possible, entre temps, de provoquer une décision des cohéritiers ou de faire nommer un représentant par l’autorité compétente, l’héritier ne peut pas continuer à agir seul au nom de l’hoirie ; ses pouvoirs s’éteignent au moment où l’urgence cesse ; lorsqu’un héritier agit seul au nom de l’hoirie, les autorités de poursuite doivent vérifier si le critère de l’urgence allégué paraît réalisé, ceci indépendamment des questions de l’existence et de l’exigibilité de la créance mise en poursuite ; en l’espèce, les loyers objet de la poursuite allaient bientôt se prescrire ; la poursuivie – qui est aussi membre de l’hoirie – a refusé de signer une renonciation à se prévaloir de la prescription ; il y avait donc urgence à déposer une réquisition de poursuite ; en effet, il est évident que la poursuivie n’allait pas consentir à la mise en poursuite et la désignation d’un représentant de la communauté aurait très vraisemblablement duré plus d’un mois ; autre est la question de savoir si la poursuivante pourrait requérir seule la mainlevée provisoire de l’opposition et, le cas échéant, mener seule la suite de la procédure de poursuite ; le critère de l’urgence doit être réexaminé à chaque étape de la procédure (consid. 3.3).
TF 1C_110/2017 du 29 mai 2018
Loyer; droit public; contrôle étatique des loyers en cas de rénovation d’une habitation; compatibilité de la règle cantonale avec le droit fédéral; respect de la liberté économique et de la garantie de propriété sous l’angle de la restriction des droits fondamentaux; art. 269 CO; 8, 26, 27, 36, 49 Cst.; 1, 4 LDTR/VD
La loi vaudoise soumet à autorisation la rénovation totale ou partielle de maisons d’habitations sises dans les communes où sévit la pénurie de logements ; l’autorisation est accordée lorsque la rénovation apparaît indispensable pour des motifs de sécurité, de salubrité ou d’intérêt général ; le département cantonal compétent peut alors subordonner l’octroi de l’autorisation à certaines conditions, notamment contrôler pendant dix ans les loyers des logements des immeubles rénovés afin d’éviter les augmentations qui iraient à l’encontre du but visé par la loi (consid. 2) ; la jurisprudence retient qu’il est interdit aux cantons d’intervenir dans les rapports directs entre les parties au contrat de bail, réglés exhaustivement par le droit fédéral, mais que les cantons demeurent cependant libres d’édicter des mesures destinées à combattre la pénurie sur le marché locatif, par exemple en soumettant à autorisation la démolition, la transformation et la rénovation de maisons d’habitation ; le Tribunal fédéral a rappelé à de multiples reprises que les dispositions cantonales qui soumettent à une autorisation les aliénations de logements offerts à la location ou imposent un contrôle des loyers ne sont en principe pas contraires aux règles du droit civil fédéral qui régissent les rapports entre bailleurs et locataires ; malgré les critiques de certains auteurs de doctrine, il n’y a pas lieu de modifier cette jurisprudence (consid. 3.1).
L’art. 269 CO tend à assurer que la partie bailleresse ne retire pas un rendement excessif de la chose louée ; il autorise certes un rendement maximal au bailleur mais n’est pas destiné à garantir ce rendement maximal ; le fait que le bailleur ne puisse en principe pas s’en prévaloir pour augmenter le loyer en cours de bail en est l’illustration ; si on devait admettre que le rendement maximal (imposable au locataire) serait également le rendement minimal (auquel pourrait prétendre le propriétaire), cela conduirait à fixer un rendement déterminé, c’est-à-dire un loyer précis, ce qui est par essence contraire à la liberté contractuelle dans laquelle s’inscrit le droit du bail ; par conséquent, lorsqu’un propriétaire ne peut pas obtenir un rendement qui aurait été jugé acceptable par le droit du bail, cela ne signifie pas que le droit fédéral est violé, ni même contourné (consid. 3.2).
La garantie de la propriété et la liberté économique ne sont pas absolues et peuvent être restreintes aux conditions fixées à l’art. 36 Cst. ; la restriction doit notamment reposer sur une base légale ; en l’espèce, la restriction aux droits fondamentaux de la bailleresse est prévue dans une base légale au sens formel, l’art. 4 al. 3 LDTR, qui prévoit que le département peut contrôler pendant dix ans les loyers des logements des immeubles rénovés pour éviter des augmentations qui iraient à l’encontre du but visé par la loi ; certes, ni la loi ni le règlement d’application ne donnent d’indication supplémentaire sur la manière de calculer les loyers qui seront fixés ; vu toutefois le caractère hautement technique du calcul du loyer, il est admissible que seul le principe d’un contrôle limité dans le temps soit arrêté dans la loi au sens formel, les modalités de fixation n’étant adoptées qu’en la forme de directives rendues accessibles à la propriétaire ; la mesure de contrôle des loyers repose ainsi en l’espèce sur une base légale suffisante (consid. 4.1) ; toute restriction d’un droit fondamental doit par ailleurs être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui ; tel est le cas en l’espèce, la loi vaudoise ne visant que les travaux apportant une plus-value aux logements, les travaux d’entretien n’étant pas visés ; s’agissant du risque de freiner le rythme et l’intensité des rénovations apportant plus-value et amélioration du confort de logements existants, il s’agit d’un choix du législateur cantonal qui n’est pas en contradiction avec un intérêt public contraire consacré légalement ; cette décision étant politique, il n’existe aucun motif de la sanctionner sur le plan juridique ; il est ainsi manifeste que l’intérêt public à la préservation d’un parc locatif répondant aux besoins de la population est légitime et justifie l’atteinte aux garanties constitutionnelles de la propriété et de la liberté économique (consid. 4.2) ; quant au principe de la proportionnalité, il exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive ; il exige en outre un rapport raisonnable entre le but visé et les intérêts publics ou privés compromis ; en l’occurrence, les règles du droit fédéral sur l’interdiction du rendement excessif ne contribuent pas à la réalisation de l’intérêt public au maintien d’un parc locatif répondant aux besoins de la population, la mesure de contrôle des loyers se révélant nécessaire pour atteindre cet objectif ; en outre, la mesure ne prend en l’espèce effet que sur cinq années et elle n’impose pas à la bailleresse une perte, les montants investis dans les travaux lui procurant un rendement suffisant par l’augmentation de loyer que ceux-ci impliquent (consid. 4.3) ; pour terminer, le principe d’égalité de traitement signifie qu’une décision ne peut pas établir des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’elle ne doit pas omettre de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances ; en l’occurrence, ce principe n’est pas violé s’agissant d’un propriétaire qui entreprendrait des travaux et d’un propriétaire qui n’entreprendrait pas de travaux et qui pourrait dès lors augmenter le loyer dans les limites de l’art. 269 CO lors du changement de locataire ; en effet, la loi vise à préserver un certain type de parc locatif et il convient de cibler les opérations par lesquelles la nature des objets de ce parc locatif est amenée à changer (consid. 5).
TF 6B_1141/2017 du 7 juin 2018
Pénal; escroquerie; art. 19, 49, 50, 146 CP
Pour qu’il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas, il faut que celle-ci soit astucieuse ; l’escroquerie n’est consommée que s’il y a un dommage ; il s’agit d’une infraction intentionnelle ; l’auteur doit par ailleurs avoir agi dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, correspondant au dommage de la dupe ; en l’espèce, la cour cantonale a retenu que le locataire se trouvait dans une situation d’endettement désastreuse au moment de conclure les différents baux litigieux, portant sur des loyers élevés, et qu’il avait pu signer ces contrats uniquement grâce à de faux documents ; il est évident que le locataire n’aurait pas pu obtenir ces locations s’il avait fait état de sa situation financière réelle ; pour la cour cantonale, il ne fait aucun doute que le but était d’obtenir un logement puis de le conserver dès le moment où il ne pourrait plus verser les loyers ; l’intention du locataire était donc de porter atteinte au patrimoine des bailleurs et de s’enrichir à leur détriment ; le recourant ne formule à cet égard que des griefs appellatoires, non recevables devant le Tribunal fédéral (consid. 1).
L’auteur agit par métier lorsqu’il résulte du temps et des moyens consacrés à ses agissements délictueux, de la fréquence des actes pendant une période déterminée ainsi que des revenus envisagés ou obtenus, qu’il exerce son activité coupable à la manière d’une profession, même accessoire ; il faut que l’auteur aspire à obtenir des revenus relativement réguliers représentant un apport notable au financement de son genre de vie et qu’il se soit ainsi installé, d’une certaine façon, dans la délinquance ; la qualification de métier n’est admise que si l’auteur a déjà agi à plusieurs reprises ; en l’espèce, au vu du nombre d’escroqueries qui lui sont reprochées et du fait qu’il a agi aussi souvent que l’occasion se présentait et du dommage chiffré à plusieurs centaines de milliers de francs, on peut admettre que le locataire a exercé son activité à la manière d’une profession (consid. 3).
Aux termes de l’art. 19 al. 2 CP, le juge atténue la peine si, au moment d’agir, l’auteur ne possédait que partiellement la faculté d’apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d’après cette appréciation ; selon l’art. 49 al. 2 CP, si le juge doit prononcer une condamnation pour une infraction que l’auteur a commise avant d’avoir été condamné pour une autre infraction, il fixe la peine complémentaire de sorte que l’auteur ne soit pas puni plus sévèrement que si les diverses infractions avaient fait l’objet d’un seul jugement ; concrètement, le juge se demande d’abord quelle peine d’ensemble aurait été prononcée si toutes les infractions avaient été jugées simultanément ; dans sa décision, le juge doit exposer les éléments essentiels – relatifs à l’acte et à l’auteur – qu’il prend en compte ; en l’espèce, la cour cantonale a considéré que la culpabilité du recourant était très lourde, pour différents motifs explicités dans l’arrêt ; à la décharge du locataire, l’autorité précédente a retenu une légère diminution de la responsabilité pénale et a également tenu compte des reconnaissances de dettes signées en faveur de certains plaignants et des aveux du locataire ; certes, la cour cantonale n’a pas mentionné expressément, comme cela aurait été souhaitable, l’influence de la diminution de responsabilité sur la culpabilité du locataire, mais on comprend que sa culpabilité reste qualifiée de « très lourde » en considérant une légère diminution de responsabilité ; en outre, en fixant une peine complémentaire d’un an, la cour cantonale n’a ni excédé ni abusé de son pouvoir d’appréciation, vu le concours d’infractions, la faute qualifiée de très lourde, le dommage se montant à plusieurs centaines de milliers de francs et la peine privative de liberté de 3 ans déjà infligée pour d’autres faits (consid. 4).
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